Une meilleure version de lui-même (2 de 8)

6 mars 2013Evelyne Papillon

J’invite Vincent, mon amoureux rencontré sur Internet, à la Maison du cinéma. Je lui enseignerai les bonnes manières en ce lieu sacré. Je sais, il est déjà allé dans un cinéma avant, mais je tiens à lui partager ma philosophie. « Il y a les films à pop corn et les films où il vaut mieux éviter d’en consommer ». « Comment ça? », demande-t-il, surpris. « Si tu vas voir un drame sous-titré, un de ces chefs-d’œuvre en sélection officielle à Cannes, les gens autour n’auront aucune envie d’entendre les grains craquer sous la dent, ils voudront rester attentifs durant la projection. » Il me répond du tac au tac : « Je n’irai jamais voir ça de toute façon, ça a l’air vraiment plate. » Ouch! Mon cœur de cinéphile saigne. Ce sont mes films préférés, les films étrangers. Ceux qui nous font réfléchir à notre condition humaine et plonger dans l’intimité des personnages.

« Pis amène-moi pas voir des films français, je ne les comprends pas. J’ai l’impression qu’ils parlent dans une autre langue. » Bon, là, ça va mal. Je sais que je ne dois pas montrer ma déception, ce n’est qu’une question de temps. Il a dû intégrer que ce type de film n’était pas pour lui en imitant sa famille ou ses amis. On commencera par des comédies, pendant lesquelles je lui expliquerai des termes de verlan comme taf, meuf, relou. Peu à peu, fort de ce nouveau vocabulaire, il captera mieux les dialogues, jusqu’à apprécier le film et à vouloir en voir d’autres. On partira d’Astérix Mission Cléopâtre et subtilement, on glissera vers Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. Et si sincèrement, il n’aime aucun de ces films, nous aurons un problème. Mais nous n’en sommes pas là.
Aujourd’hui, nous allons voir L’histoire de Pi. « As-tu lu le livre? », que je lui demande. « Non, je ne suis pas un grand lecteur. Parfois les journaux quand je dîne à l’extérieur pour le travail, mais c’est tout. » Ne pas réagir. Ne le regarder ni avec dédain, ni avec pitié parce qu’après tout… c’est mon amoureux maintenant.

On va commencer par les films, les livres attendront. Si on saute des étapes, son cerveau risque de surchauffer. Mon cobaye présente une résistance au changement, certes, mais il n’est pas blindé. À tout moment, il pourrait tomber sous le charme d’un film ou d’un livre. Il n’y a pas de vaccin contre la beauté et l’émotion. Il me semble que sa main sur ma cuisse dans le noir réglera bien des conflits et chassera les incertitudes qui peuplent mon cerveau hyperactif, épuisé et sûrement épuisant pour lui.

Son immense pop corn en main, Vincent choisit l’escalier mécanique. Je le double en grimpant dans l’escalier traditionnel. « Si on monte ceux-là, on fournit un plus grand effort et on est plus en forme au final. », dis-je, aussi enthousiaste que Josée Lavigueur. « Ce n’est pas ça qui va te mettre vraiment en forme, ma belle ». Il se moque de moi, mais puisqu’il a dit « ma belle », je le laisse faire. « Tu ne trouves pas ça un peu bizarre de prendre deux escaliers différents comme si on ne se connaissait pas? », poursuit-il. « Tu n’auras qu’à prendre le même que moi la prochaine fois », dis-je, malicieuse.

La salle est pleine, nous prenons des places complètement à gauche. C’est ça ou la première rangée, torticolis assuré en prime. Le film commence et Vincent est toujours en train de manger son pop corn bruyamment. Au moins, il est concentré sur l’histoire. Il fait des efforts, je sais pertinemment qu’il aurait préféré aller voir le dernier James Bond. Et un gars qui peut faire des efforts peut changer. CQFD.

Un enfant pleure à quelques sièges de nous, ce n’est pas un film totalement familial, certains bouts peuvent faire peur, j’en conviens. Ce qui m’agace, c’est le morveux qui a déjà vu le film et en raconte des passages à sa mère AVANT qu’ils arrivent. La politesse m’empêche de lui crier de se taire même si c’est mon plus grand fantasme. Le film se termine, et je demande à Vincent comment il l’a trouvé. On sort par l’escalier du deuxième, croisant les étranges fleurs sur le mur et il répond : « C’était pas pire. Mais le petit gars qui parlait, je l’aurais étampé! » On rit comme des petits fous. J’aurais aimé qu’il me parle plus de sa vision du film, mais en ce moment, il m’embrasse dans son auto et je me dis que nous avons une complicité. Il est plus réservé dans ses paroles, mais s’en tire très bien dans d’autres domaines. Je veux continuer à le connaître lonnnngtemps…


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