Deux continents les séparaient, mais leur union était inéluctable

21 mai 2013Aline Cloutier
Catégories : Immigration , Société

Je l’ai aperçue dans le cadre de la porte du café où nous avions rendez-vous. Grande, mince, élégante, cheveux coiffés en tresses rouge vin, sourire et geste engageants. Née dans une petite ville de l’ouest du Niger, Tillabéry, Roukayatou est la sixième fille d’une famille de huit enfants. Depuis 2008, elle vit au Québec. Voici son histoire.

Élevée avec ses sept frères et sœurs, Roukayatou a vécu une enfance heureuse dans une famille unie. Son père, qui a voyagé et étudié un peu partout dans le monde, élève ses enfants de façon occidentale et libérale ; il les inscrit à une école française privée et les incite à entreprendre des études supérieures. Les enfants grandissent donc à Maradi et, un à un, les grands partent étudier à Niamey, la capitale, où se trouve la seule université du pays.

L’attrait de l’étranger

Roukayatou a des amis nigériens qui ont étudié au Québec et qui ont connu un certain Jean-Benoît, un Québécois qui rêve d’Afrique. Ils lui transmettent l’adresse courriel de Roukayatou et vice-versa. Une correspondance s’amorce. Ils apprennent à se connaître. Jean-Benoît doit se rendre en France pour son travail et propose à Roukayatou d’aller la voir, dans son pays, offre qu’elle s’empresse d’accepter. Les premiers jours suivant l’arrivée de Jean-Benoît, Roukayatou joue surtout un rôle de guide, puis un flirt subtil s’installe. Ils se plaisent à coup sûr.

Peu de temps après son retour au Québec, Jean-Benoît invite Roukayatou à venir, à son tour, découvrir son pays. Il est originaire de Montréal, mais a élu domicile à Sherbrooke depuis quelques années. Elle présente sa demande de visa qui est refusée, car ils ne sont pas mariés. Reprise de la relation amoureuse électronique. Pour Jean-Benoît, une seule solution s’impose : se marier! Comme la religion musulmane interdit à une femme musulmane d’épouser un non-musulman, mais l’inverse est permis, Jean-Benoît doit donc se convertir avant la cérémonie. Ce qu’il accepte sans hésitation.

Quelque 250 personnes, sœurs, frères, tantes, oncles, belles-sœurs, beaux-frères, cousins, cousines, amis et connaissances se déplaceront pour assister au mariage. Fait inusité pour un Occidental, seuls les mariés n’assisteront pas à la cérémonie. Les femmes présentes unissent leur savoir-faire pour concocter le repas nuptial.

Après un voyage de noces de cinq jours au Bénin dans une magnifique et romantique auberge, la séparation est difficile. Roukayatou présentera une deuxième demande de visa, lequel lui sera accordé en moins de neuf mois, son statut de femme mariée ayant facilité le processus.

L’arrivée en terre canadienne

C’est le 4 juin 2008, un mercredi, que Roukayatou atterrit en sol québécois. Des sentiments mitigés l’habitent : un puissant désir de retrouver son époux se laisse par moments contrecarrer par la crainte de l’inconnu et l’absence de sa famille qui se fait déjà sentir. Alors qu’elle cherche avec angoisse ses bagages, Jean-Benoît jubile d’impatience de la retrouver. Roukayatou sort, aperçoit enfin son mari qui l’attend, un bouquet de roses rouges à la main et un large sourire au visage.

Dès son arrivée à Sherbrooke, Roukayatou est ébahie par les rues larges et la verdure à perte de vue. Et puis surtout, tout est propre !

Une nouvelle vie se dessine. Jean-Benoît craint que l’ennui ne gagne Roukayatou et ternisse leur bonheur. Il lui trouve un travail chez son employeur, Nad Lkima, une entreprise spécialisée dans les produits de ventilation. Elle y restera quelques semaines, puis, surprise! Roukayatou découvre, avec une joie que partage Jean-Benoît, qu’elle est enceinte.

Quelques semaines se sont écoulées et Roukayatou découvre Moisson Estrie, un organisme qui vient en aide aux personnes démunies. C’est à titre d’intervenante communautaire qu’elle se joint à cette organisation. C’est un travail qui lui convient tout à fait. Elle y restera neuf mois. Puis, le petit Malick naîtra.

Une fois de plus, Jean-Benoît refuse de laisser sa femme seule à la maison, car elle amorce un congé de maternité d’un an. Roukayatou vivra une semaine chez ses beaux-parents mais, bien qu’ils soient accueillants, elle ne se sent pas chez elle et revient à la maison.

Roukayatou m’avoue avoir eu une légère réaction postpartum, car au Niger, lorsqu’une femme donne naissance, toutes les femmes du village prennent en charge la préparation des repas, et entourent la nouvelle maman. Puis tout se replace, Malick a maintenant trois ans.

Tout en étant amoureux, Roukayatou et Jean-Benoît doivent composer avec leurs différences culturelles.  Roukayatou est une femme indépendante, qui n’a pas froid aux yeux. De nature sociable, elle tente de se lier d’amitié avec des femmes, ce qui lui apparaît compliqué. C’est qu’au Niger, son cercle d’amis était principalement constitué de jeunes hommes : un trait de caractère et non une coutume dans son pays. Elle apprend doucement à développer une amitié avec les femmes. Les trois amies qu’elle s’est faites au travail lui permettent d’échanger sur bien des sujets.

Des accrochages et des querelles de ménage, ils en vécurent, mais l’amour les a balayés et a triomphé. Roukayatou respire la joie de vivre, elle est expressive et spontanée. Jean-Benoît, lui, est réfléchi, déterminé, organisé. Un couple aux antipodes. Elle le trouve rassurant, il adore son côté expressif.

Une autre expérience au cv

En cours de route, Roukayatou se trouve un poste d’adjointe administrative chez AIDE, un organisme qui fait la promotion et la gestion de l’interculturalisme et de la diversité culturelle. Elle connaît ses aptitudes et ses compétences et aimerait bien les mettre à profit. Sa patronne décèle une insatisfaction et petit à petit lui confie des fonctions valorisantes.

L’avenir à court terme ? Ils étaient prêts à accueillir un deuxième enfant. Les voilà comblés, car il naîtra dans quelques mois. La famille idéale? Peut-être un troisième enfant.

Et à long terme ? Une autre priorité occupe l’esprit de Roukayatou : avoir une maison, comme ce fut le cas dans sa jeunesse. Pour l’instant, ils habitent un duplex. Elle caresse un autre rêve : celui de vivre dans LA métropole, en France. Bref, un avenir assez mouvementé s’annonce pour ce couple, qui a su dès le début qu’ils étaient faits l’un pour l’autre.


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