De Buenos Aires à Sherbrooke

1 août 2013Aline Cloutier
Catégories : Immigration , Société

2002. Quelques années se sont écoulées depuis la décision du Gouvernement argentin d’établir la parité de sa monnaie avec le dollar US. Cette décision a mené à une crise sociale et économique sans précédent : manifestations, chômage, vandalisme, violence sont devenus monnaie courante. Juan Carlos, quarante-six ans, son épouse Alejandra, quarante-quatre ans, et leurs quatre enfants, vivent au quotidien un climat où la méfiance et l’insécurité se sont installées.

Alejandra et Juan Carlos ont fait des études et gagnent bien leur vie en Argentine. Juan, programmeur-analyste, travaille pour une multinationale dans le secteur de l’alimentation. Pour sa part, Alejandra, détentrice d’un baccalauréat en sciences infirmières, enseigne à la Croix-Rouge et occupe aussi le poste de directrice de l’École en sciences infirmières. Leurs quatre enfants sont aux études. Toutefois, ce qu’est en train de devenir Buenos Aires ne leur plaît pas du tout.

Une question hante l’esprit des parents. Peut-on envisager notre avenir et celui de nos enfants ici? Partir, mais où? En Espagne? Juan Carlos et les quatre enfants ont également la citoyenneté espagnole… Ailleurs en Amérique du Sud? Leur choix s’arrête sur le Canada. C’est en 2002 que les parents découvrent sur Internet qu’ils peuvent entamer le processus d’immigration sans l’aide d’avocats argentins.

L’Alliance française, de concert avec Immigration Canada, les aide à préparer leur demande à titre d’immigrants indépendants. Ils sont nés sous une bonne étoile, car leur profession est en demande au Québec, particulièrement celle de programmeur-analyste. Dès 2003, ils sont sélectionnés sans condition par Immigration Québec. Moins de dix-huit mois plus tard, ils s’envolent vers le Canada.

Un premier départ… à Gatineau

Juan Carlos, le père, et sa fille Valeria sont les premiers à fouler le sol québécois le 30 août 2004, tout juste après la fin des études de Valeria, comme éducatrice. Pour sa part, Alejandra a décidé de terminer sa session comme professeure, et les rejoindra quatre mois plus tard, avec deux des trois fils : Lucas alors âgé de huit ans et son frère aîné Bruno, âgé de seize ans. Quant à l’aîné, Juan Diego, vingt-quatre ans, et son épouse, ils préfèrent poursuivre leur carrière à Buenos Aires dans le secteur des communications.

Juan Carlos et Valeria préparent l’arrivée du reste de la famille. Soucieux d’assurer le bien-être de sa famille, Juan Carlos accepte un travail en usine où il restera six mois.

Valeria, en attente d’une place au programme de francisation, ne chôme pas. Elle devient bénévole pour un centre alimentaire. Des places se libèrent au programme de francisation, Valeria s’y inscrit sans tarder.

Lucas et Bruno sont en classe d’accueil, une formation davantage axée sur l’apprentissage de la langue française. Au début, ils ont tendance à établir des liens avec des Sud-Américains, mais comme ils apprennent assez rapidement le français, ils se font rapidement des amis québécois.

Juan Carlos décroche un poste d’analyste-programmeur à Sherbrooke et restera deux ans jusqu’à ce que l’entreprise déclare faillite. La famille y élit domicile. Juan Carlos décroche rapidement un autre poste d’analyste-programmeur chez Cascades, un des fleurons de l’industrie québécoise. Il occupe toujours ce poste aujourd’hui.

À son arrivée à Gatineau, Alejandra s’inscrit au cours de francisation avec sa fille Valeria, parallèlement à un micro-programme en français à l’Université de Sherbrooke. Son diplôme d’infirmière est reconnu par l’Ordre des Infirmières du Québec, mais l’organisme exige qu’elle fasse un stage de huit mois à Montréal. Ses enfants sont trop jeunes et elle rejette cette possibilité. Alejandra est une femme active, débrouillarde et curieuse intellectuellement.

En 2006, Alejandra entend parler de l’organisme Marraine Tendresse, une association qui accorde un répit aux jeunes mamans. Elle devient bénévole. Son action l’amène à se déplacer chez ces jeunes mamans. Elle adore son rôle.

En 2007, alors qu’elle poursuit une maîtrise en gérontologie, elle décide de seconder l’équipe de bénévoles de la garderie où travaille Valeria, et ce, pendant un an. C’est alors que le patron de la garderie lui offre un poste à temps complet. Le Ministère de l’Éducation reconnaît tous ses diplômes et lui demande de suivre seulement un cours de sécurité au Cégep en milieu de garde; elle obtient son diplôme d’éducatrice pour les enfants. Pendant quatre ans, elle travaillera donc pour cette garderie.

Parcours de Valeria à Sherbrooke

Dès son arrivée à Sherbrooke, Valeria complète le 3e niveau de francisation au Cégep. Puis, un conseiller la recommande à une garderie multiculturelle. L’entrevue est concluante, sa formation d’éducatrice en Argentine avec concentration en pédagogie constitue un atout. C’est donc en 2006 qu’elle commence son travail à la garderie. Elle y restera jusqu’en 2010, alors qu’elle s’inscrit à un baccalauréat en service social à l’Université de Sherbrooke, qu’elle poursuit toujours. Cette expérience en milieu de garde confirme son désir d’exercer sa profession auprès de jeunes enfants.

Lucas a maintenant dix-sept ans et s’affiche, non seulement comme québécois, mais comme Sherbrookois. Il poursuit des études collégiales. Le piano fait partie de ses passe-temps et il envisage de suivre des cours de chant et d’art dramatique.

Pour sa part, Bruno a terminé un DEC en arts plastiques. En 2010, il s’est inscrit au baccalauréat en communication qu’il poursuit tout en travaillant comme designer Web pour une entreprise de marketing. Lui aussi navigue entre immigrants et Québécois.

Un projet familial en voie de réalisation

De l’expérience et des compétences combinées de Valeria et d’Alejandra est né un projet : ouvrir leur propre garderie. Des démarches ont déjà été entreprises au Gouvernement du Québec. Alejandra occupera le poste de directrice, Valeria de conseillère pédagogique. Juan Carlos envisage également de se joindre à l’entreprise et prendrait en charge le volet administratif. Il continuera toutefois son travail d’analyste-programmeur pendant un certain temps avant de sauter dans l’aventure.

La famille possède sans contredit tous les atouts pour bien réussir sa vie familiale et professionnelle au Québec : compétences, détermination, désir d’apprendre, ouverture d’esprit, facilité d’adaptation, sans oublier un sens de la famille manifeste qui les caractérise. De ce récit, on retiendra l’immense courage qui anime cette famille prête à refaire sa vie, dans un pays où un monde tout à fait nouveau représente plus d’un défi.


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