Une tempête d’austérité souffle sur le Québec

12 décembre 2014Hélène Pigot
Catégories : Politique , Politique nationale

Depuis l’entrée du gouvernement Couillard à la direction de l’État, un vent d’austérité balaye le Québec. Il n’est pas de semaine qui ne contienne son annonce de compressions, que ce soit dans les conservatoires de musique, les commissions scolaires, les organismes communautaires, les directions de santé publique, les garderies, alouette.

Dans un premier temps, le gouvernement justifiait sa recherche effrénée de rentabilité budgétaire par le gouffre de 3,2 milliards de dollars. Face à cet objectif de saine gestion du budget de l’État, nous pouvions chercher les moyens à mettre en place collectivement pour assainir les dettes publiques. Nous pouvions évaluer quel programme éducatif ou social pourrait supporter temporairement un manque de financement. Et nous pouvions nous projeter dans le futur, au moment où, le déficit zéro atteint, notre société renouerait avec ses principes humanistes et redeviendrait soucieuse d’éduquer ses enfants, d’assister ses personnes plus nécessiteuses, d’investir dans ses forces scientifiques et créatrices et de s’abreuver à sa culture revitalisée.

Tempête idéologique

Depuis, le gouvernement a dévoilé les enjeux véritables d’un tel rouleau compresseur. Dès la mi-octobre, notre premier ministre, monsieur Couillard, a ouvertement rétorqué à l’opposition que nous n’étions pas en période d’austérité. En effet, selon lui, l’État pouvait et allait investir 11 milliards de dollars pour soutenir l’entreprise privée… pendant qu’il réitérait l’obligation de couper 5 milliards de dollars dans les services publics. La même rhétorique s’appliquait lorsque le montant retiré aux organismes communautaires, aux soins aux personnes âgées, en santé mentale et aux personnes handicapées, allait être intégralement reversé dans une obscure étude qui statuerait sur l’opportunité de construire une troisième route dans le Grand Nord.

Il est d’ailleurs instructif de revenir sur l’élaboration inventive du déficit de 32 milliards qui justifie la cure de maigreur que nous impose le gouvernement québécois. Simon Tremblay Pépin, lors de la conférence qu’il donnait sur l’austérité le 15 octobre à l’Université de Sherbrooke, expliquait que cette somme pharamineuse résultait de l’addition de tous les souhaits et programmes que chaque ministère avait proposé lors d’une consultation à l’arrivée du gouvernement. Aucune sélection entre ces désirs ministériels n’avait été effectuée. Curieusement quand une priorité a été instaurée parmi les programmes, le déficit a fondu à 3,2 milliards.

Quel trésorier minimalement raisonnable accorde ainsi tous les desideratas de son équipe sans ajuster ses priorités à sa capacité de payer? Mais de cette réévaluation il n’en est pas été mention car le gouvernement préfère installer un vent de panique plutôt que de rassurer la population sur sa capacité à s’offrir collectivement des services.

Noyade des services publics

Il est essentiel de comprendre ce changement de visée pour analyser les propositions ministérielles et y répondre. Le gouvernement du Québec a résolument décidé d’assujettir l’État aux besoins de l’entreprise privée. Jusqu’à présent, l’État québécois avait pour mission d’offrir des services de santé et d’éducation à sa population, tout en lui assurant une sécurité sociale et environnementale. Le gouvernement libéral renverse cette fonction. Il s’occupe dorénavant «des vraies affaires», celles qui permettront au secteur privé de rentabiliser toutes les sphères de la société, sans égard à leur mission sociale.

Le nouveau ministre de la Santé n’a de cesse, par ses directives, de raréfier les ressources et de construire un éléphant blanc administratif (projet de loi 10), qui ne sera plus à l’écoute des besoins en santé de sa population. Ce risque, décrié même par d’anciens ministres libéraux, entraînera une telle détérioration des soins publics, que la seule issue sera de développer le secteur privé pour de «meilleures opportunités d’affaires.»

Le ministre de l’Éducation dévie lui aussi de son mandat, car il ne s’inquiète plus de savoir si l’école pourra continuer à accomplir sa mission éducative, que ce soit, par exemple, au niveau de l’aide aux devoirs ou encore l’accès à des bibliothèques bien garnies. Suite aux coupures drastiques, l’université devra se tourner vers le financement privé, qui dictera les contenus des programmes universitaires, restreignant ceux-ci aux formations d’employés en délaissant la formation de citoyen.

Se redresser face à la tempête

C’est donc en reconnaissant ce changement de paradigme que nous devons réagir aux politiques gouvernementales. L’exercice n’est plus comptable, il est idéologique. Et c’est donc sur les justifications de l’existence des services publiques que nous devons axer notre riposte.

Les organismes publics québécois ont jusqu’à présent joué la carte de l’arrangement pour continuer d’assurer leur mission avec des moyens restreints. Ils sont maintenant dépassés par cette vague de coupure qui ne procède plus d’un rationnel de bonne gestion financière mais d’un rationnel de démantèlement de la fonction publique. Il s’agit maintenant de défendre une société éduquée, responsable et prête à appréhender ce monde moderne complexe. Construire une telle société requiert que tous les pans de la société puissent compter sur un système public fort qui leur offre des services dans les domaines culturels, éducatifs, scientifiques et sociaux.

Il existe des solutions pour redonner à l’état québécois les moyens de ses ambitions. Par exemple, Alain Denault, lors de la conférence du 15 octobre sur l’austérité, a bien montré comment les gouvernements québécois et canadien favorisent la dérèglementation de l’imposition des entreprises privées, menant à la prolifération des paradis fiscaux et à un manque à gagner des états.

Les prochains mois seront cruciaux pour la survivance de l’état québécois. Déjà un front commun estrien s’est construit pour riposter aux coupures dans les services publics qui provoqueront des impacts négatifs majeurs dans la région estrienne dont la force économique provient pour une grande part des services d’éducation et de santé qu’elle offre à sa population.

Restez à l’affût, des propositions concrètes de réflexion et d’actions seront annoncées dans les mois à venir.

L’auteure est professeure à l’Université de Sherbrooke et co-porte-parole de Québec Solidaire Sherbrooke.


Partager cet article
Commentaires