Grève sociale des professeurs: comment réagiront les directions des cégeps ?

18 avril 2015Philippe Langlois
Catégorie : Austérité

Il s’est passé bien des dérapages la semaine dernière à l’UQAM, mais un de ceux qui est le plus lourd de sens est l’influence directe du premier ministre et du ministre de l’éducation sur la décision du recteur Robert Proulx de faire intervenir les forces policières dans l’Université. Cela démontre dans quelle situation intenable se retrouvent les responsables des services publics dont le gouvernement programme minutieusement l’asphyxie financière dans une perspective de privatisation. Coincés, certains inféodent leurs décisions aux intérêts du pouvoir, au risque de conséquences catastrophiques pour la communauté qu’ils dirigent – Robert Proulx. D’autres tiennent tête aux commandes politiques, au nom de l’intérêt supérieur de l’établissement dont ils portent la responsabilité – pensons à Jacques Turgeon, le directeur du CHUM.

Le 1er mai, mon employeur, le Cégep de Sherbrooke, sera devant un dilemme semblable. Quelle sera sa réponse à la journée de grève sociale que tiendront ses professeurs, à l’instar de milliers d’autres d’une douzaine de cégeps (d’autres votes sont à venir) ? Rappelons que cette journée de grève tombe en-dehors du cadre légal prévu pour l’exercice du droit de grève au Québec, c’est-à-dire le cadre des négociations portant sur le contrat de travail entre un employeur et ses employés. À ce titre, mon employeur pourrait porter plainte de manière à ce qu’en plus des pertes salariales, ses employés et leur syndicat subissent des amendes punitives. Si telle est la voie prise par la direction du Cégep – rien ne l’y oblige – mon syndicat contestera ces amendes au nom du droit de ses membres à la grève, droit récemment reconnu comme constitutionnel par un jugement de la Cour Suprême. Car il se pourrait très bien que la grève sociale soit, comme la grève étudiante, une pratique dont l’existence devance historiquement la législation appelée à l’encadrer.

Mais au-delà du problème légal, il y a le problème de la légitimité. La « grève sociale » est, par définition, une grève qui ne vise pas à construire un rapport de force en vue de la négociation d’une convention collective mais en vue de la défense du bien commun. En ce sens, le vis-à-vis des grévistes n’est pas leur employeur, celui qui administre au quotidien les conditions de leur production sociale et économique, mais leur gouvernement, celui qui administre notamment les conditions de la reproduction de leur force de travail. De quoi parle-t-on ici ? De tout ce qui, en-dehors du travail, rend des êtres humains concrètement aptes et disponibles au travail, comme leur accès à l’éducation et la santé, la présence d’un filet social pour les plus vulnérables, l’existence d’outils de développement sociaux, économiques et culturels pour leur région, la protection de leurs libertés fondamentales, etc.

La conviction commune qui anime et indigne les travailleurs et travailleuses qui, le 1er mai, suspendront leur travail pour protester contre l’austérité, est que nous vivons depuis un an sous la gouverne illégitime d’une idéologie qui ne dit pas son nom et qui détruit les conditions de la reproduction sociale et économique, et par là même l’accès aux repos, aux loisirs, au temps libre et à tout ce qui constitue une récompense de l’existence. Les premières victimes de cela seront les femmes, qui devront compenser en privé pour ce que l’État décrète arbitrairement ne plus vouloir prendre en charge. Le budget 2015 du ministre Leitao ne contient rien pour nous rassurer. Il annonce de nouvelles compressions, dévastatrices, dans les services publics et notamment dans les cégeps. Désormais incapable de faire avaler que ses coupures ne condamnent pas la qualité des services publics à se détériorer, le ministre Hamad a initié la semaine dernière une nouvelle rhétorique, celle des services « quand même très bons ». Ils étaient démesurément excellent par rapport à ceux de nos voisins, ils deviendront maintenant raisonnablement bons. Où s’arrêtera le massacre ? Personne ne voit le bout de la logique révolutionnaire qui anime ce gouvernement, rien ne permet d’anticiper jusqu’où il se croira autorisé à faire régresser nos droits et démolir nos institutions communes.

C’est précisément la dimension sociale de la grève du 1er mai qui posera un dilemme aux directions des cégeps. Cette dimension se résume en peu de mots : les grévistes défendent leur cégep, son existence, sa mission face à un gouvernement qui a juré sa perte. Ils débrayent non pas contre leur employeur, mais justement en droite ligne avec sa responsabilité sociale première : veiller à l’existence d’une éducation collégiale de qualité.

On aura deviné que si mes yeux se tournent vers mon employeur, c’est aussi ma main qui se tend vers lui. Saura-t-il résister aux pressions politiques venues de Québec, lesquelles la presseront de punir ceux-là même qui défendent l’institution qu’elle dirige au quotidien ? Affirmera-t-il son autonomie au nom de devoirs plus élevés que celui d’obéir à la main qui le nourrit ? Rejoindra-t-il, pourquoi pas, ses professeurs dans la rue ?

Philippe Langlois est professeur de philosophie au Cégep de Sherbrooke.


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