Bikini, l’anatomie atomique (Exercice d’indépendance, épisode 3)

17 juin 2015Evelyne Papillon

Dans une perspective de me gâter un peu, j’ai entrepris d’aller me magasiner un bikini. Ce n’est pas banal, comme recherche, cela comporte un apprivoisement de son corps. L’exposer au grand jour en assumant son âge, son poids, ses formes n’est pas de tout repos. Il faut faire avec le reflet pas toujours flatteur que le miroir nous renvoie.

Le sport n’étant pas mon dada, je sais bien que mon corps en pâtit chaque année davantage. Je n’ai pas le maintien d’une ballerine, ni le ventre qu’on montre dans les pubs d’exerciseurs. Et encore, je n’ai pas eu d’enfants comme plusieurs de mes amies. Je n’ai pas subi la descente inexorable de la poitrine, ni les vergetures de certaines grandes combattantes qui ont survécu à l’héroïque don de la vie. Je ne suis qu’une sale enfant gâtée qui a le privilège de se trouver des petits défauts en étant des plus ordinaires.

Bikini, c’est le nom d’un atoll où en 1946 des gens firent des essais d’armes atomiques. Pour ma part, les essais dans les cabines des magasins ont toujours l’effet d’une bombe sur mon estime personnelle: ils la pulvérisent plus souvent qu’à leur tour. Les deux pièces cachent pour mieux montrer. On a peur de les porter, puis de les perdre dans l’eau, humiliation supplémentaire. Il faut vivre avec désinvolture une semi-nudité et s’assurer que le haut comme le bas sont bien attachés (les plus prévoyantes passeront une couture). Puis il faut faire semblant de profiter de la plage, alors que la crème solaire mal choisie à la noix de coco (elle sentait si bon) attire les bestioles les plus variées. J’ai appris dernièrement que les moustiques peuvent survivre, pour les plus résistants, à l’été d’avant. Pire encore, si le printemps a été tardif, ce sur quoi nous ne nous obstinerons pas pour cette année, la génération printanière peut éclore en chœur avec celle de l’été. Le bikini n’est-il pas le paradis de tout insecte piqueur? Mais je m’égare.

Ce qu’il y a de bien avec le pari que j’ai pris avec moi-même, c’est que comme je ne chercherai pas à rencontrer l’âme sœur pendant une année entière, je peux arrêter d’essayer de plaire. C’est vrai, je peux porter un bikini dans lequel je me sens belle, point. N’empêche, les motifs sont désespérants. Il ne faut pas s’imaginer qu’il y aura les nénuphars de Monet, choix pourtant tout aquatique s’il en est un. Non, on doit se contenter de simili-hibiscus moches, de léopard mauve ou de fluo qui donne mal aux rétines.

Généralement, je vis bien avec mes petits seins, mais les bourrures multiples dans les tailles qui me vont me questionnent. Est-ce une abomination de ne pas avoir la poitrine d’une Marilyn? J’en ai déjà parlé par rapport à la danse, je ne suis pas coordonnée. Les parties de mon corps ne le sont pas non plus, le haut s’acharnant à être petit, alors que le bas est moyen. J’aurais fait un tabac chez les peintres de la Renaissance, je me dis que je suis une beauté anachronique.

Je recherche un modèle ni provocant, ni plate parce qu’au fond, je voudrais un peu qu’on me remarque, mais pas trop. Je m’étonne que mon bas de bikini soit qualifié de large dans un grand magasin. Ça signifie que toutes celles au-delà de cette taille ne peuvent s’y habiller. Je les imagine sortir déprimées de plusieurs boutiques. Toutes les tailles existent, et le fait que cet établissement n’en tienne pas compte frôle la discrimination.

J’aimerais être un gars parce que la mode change moins rapidement pour eux. Parce qu’ils se contentent de deux principaux choix: moulant ou pas. Pour nous, tout doit toujours être ajusté parfaitement. Même sans homme autour, au fond, il est préférable de bien paraître. Le regard des femmes et leurs petits commentaires sont parfois bien cruels. La dernière fois que j’ai mangé un brownie, on m’a dit: «Toi, tu peux te le permettre». J’aimerais qu’on se le permette toutes et sans regrets après. Vivre, ce n’est pas calculer et minceur n’égale pas beauté. Si on lâchait un peu cette obsession?

J’essaie un maillot bleu marin, sport. Je ne sais pas ce que j’imaginais au sujet des bikinis, mais ça m’a épuisée, j’ai envie d’en finir au plus vite avec ce magasinage. Dans ce maillot, je serai bien, libre de mes mouvements, et la liberté, pour moi, c’est vraiment le plus important.


Partager cet article
Commentaires