Le coeur sous-marin (Les bonnes intentions, épisode 1)

24 février 2016Evelyne Papillon

L’an dernier, j’ai appris à compter sur moi-même. Mais là je me trouve assez bonne comme ça. J’ai envie de m’ouvrir à quelqu’un. Même que je me sens rouillée. Comment on fait déjà?

Ce ne sont pas les gars qui manquent. Martin, au dépanneur, chaque fois que je fais mon tour, son «allo, comment ça va?» m’enchante. On dirait que je pourrais lui conter ma vie entière sans qu’il cligne des yeux pour mieux m’écouter. Mais s’il travaille depuis si longtemps dans un dépanneur, est-ce parce qu’il n’a pas d’ambition? Ou peut-être qu’il fait des études interminables en même temps. Attention, je ne souhaite pas sortir avec un millionnaire, mais bien avec quelqu’un qui se passionne pour son travail. Peut-être qu’il se passionne déjà pour son travail et que c’est moi qui complique tout… Peut-être qu’il sait que son travail est plate, mais qu’il est passionné par autre chose et ce serait très bien aussi. Dans le fond, je ne le connais pas.

Je pense que j’ai peur des gens que je vois souvent. Si je m’avançais avec Martin et que ça ne marchait pas entre lui et moi, je devrais changer de dépanneur. Et je m’y suis attachée, moi, à ce petit commerce. Je sais exactement où sont mes jujubes préférés en cas de semaine de merde. Martin est un bon conseiller pour les accords bière et croustilles. Vraiment, mieux vaut chercher quelqu’un de neuf, inconnu de mes amis si possible. J’imagine le malaise si une amie me présentait son cousin et qu’il ne me plaisait pas.

C’est là qu’opère la magie de l’Internet. Même s’il fallait que personne ne m’y plaise vraiment, ça m’aidera à établir des critères. Physiquement, je dirais pas trop carré, pas trop musclé. Avec des yeux de toutes les couleurs, des cheveux de toutes les longueurs, avec ou sans barbe, imberbe ou poilu. En fait, je m’égare, je recherche plus un doux charisme, une fibre artistique, un côté attentionné, une intelligence. Et ce n’est pas une simple photo qui m’indiquera tout ça.

Je n’ai pas besoin qu’il sache danser le mambo, ni qu’il ait une grosse auto ou qu’il soit connaisseur de portos. Je préfère qu’il ne soit pas trop sportif, car il sera désespéré de ma condition physique. Je préfère qu’il n’ait pas de maison, car nous ne pourrions déménager ensemble sans que je me sente plus chez lui que chez nous.

Je crois qu’on ne doit pas choisir à la carte les traits d’une personne. On s’attache même aux défauts quand on aime. Je refuse de cocher des cases qui ne me conviennent pas. Je voudrais un gars qui sort un peu du moule. Il est évident que ce type de gars ne court pas les sites de rencontre, mais bon j’explore…

J’aimerais participer à l’émission Seuls et tout nus avec mes amoureux potentiels. J’allumerais un feu pour cuire la couleuvre qu’il aurait attrapée et on s’imaginerait que c’est de la lasagne. S’il étalait de la boue pour soulager mes piqûres de moustiques, il gagnerait des points. Et si on survivait 15 jours en comptant l’un sur l’autre, je saurais que le quotidien ensemble serait une épreuve surmontable. Le problème, c’est que dans Seuls et tout nus, les femmes sont toujours avec d’anciens militaires, trop carrés et sportifs pour moi.

Le mieux ce serait de se rencontrer par hasard. De rester ouverte aux occasions sans pour autant avoir le radar toujours allumé. Mon cœur n’est pas un sous-marin. Le gars avec ses immenses écouteurs dans l’autobus, le gars au comptoir de la bibliothèque, le gars absorbé dans son dessin au salon de thé… il y en a bien un là-dedans qui vaut la peine d’être connu.

Je suis chez moi, habillée en mou, un bol de céréales en guise de dîner. La vaisselle semble vivante, tellement elle s’étale. Une chance que nous soyons en hiver parce qu’il y aurait un party de drosophiles là-dedans. Il faudrait que j’aille porter le compost dehors, car ça sent le suri. Est-ce que quelqu’un pourrait me trouver intéressante malgré mes mauvaises habitudes? Je pense que je me force moins quand j’habite seule, mais peut-être que je serais la même paresseuse en couple. Le gars qui me verrait en ce moment aurait besoin d’être très amoureux pour m’apprécier. Bon, je vais chercher sans chercher. Mettre le radar à intermittent, le temps de ranger un peu dans ma cuisine et de laisser le hamster s’essouffler dans ma tête.


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