L’utopie du réel

5 octobre 2016Ismaëlle Rose
Catégorie : Poésie

Rivières à rebours
Sur compteur de profits
Pour un rêve fossile

Réel

Définition: 1. Qui existe ou a existé effectivement.

J’ai la phobie du réel actuel. Celui qui trimballe ses certitudes hydroélectriques comme des œillères devant l’horizon qui s’enroule autour d’un nombril. Le réel qui marche dans les ornières d’un profit au discernement aveugle, dans un plan à court terme et sans politique de retour.

J’ai le réel en chute libre, dans un puits à effet de serre qui prend ma voix dans l’étau sourd des dirigeants. Le réel étranglé dans un réseau de pipelines qui courent comme des intraveineuses pour junkies.

Quand je vois le climat se prendre une autoroute à reculons, quand je vois nos ressources s’enliser dans les poches d’une inconduite fossile, pendant que les risques tournent le dos au bon sens, je me dis que j’ai une terre en burnout.

J’ai le réel coincé quelque part entre le temps qui court, le temps qui reste et les temps à venir.

Utopie

Définition: 1. Construction imaginaire et rigoureuse d’une société, qui constitue, par rapport à celui qui la réalise, un idéal ou un contre-idéal.

J’ai l’utopie continente. Un rêve pour chaque rivière. Des cours d’eau sans corset, bordés de terres dont l’identité parle d’un passé métissé. J’ai des idées qui pointent vers le vert. Des énergies qui se renouvellent en même temps que la vie qui respire.

Oui, j’espère un monde où les intérêts se cumulent au-dessus de nos têtes, et non dans les poches sans fond d’une économie en croche-pied. Commençons à nous écrire une économie qui parle plus loin qu’une politique d’intérêts détournés. L’économie dans la préservation d’un avoir, qui se calcule par le capital humain, environnemental, et qui ne s’additionne pas seulement dans une colonne Excel.

Une utopie? Seulement si le regard manque de longueur sur l’échelle du temps, et de largeur sur les aspirations que l’on nourrit pour ceux qui suivront.

L’avenir

Définitions: 1. Le temps à venir, le futur. 2. Les générations futures, les personnes qui vivront plus tard, la postérité.

L’avenir, un pays à bâtir pour plus loin qu’aujourd’hui. Une terre pour plus tard que soi. Peut-on rêver le monde et écrire son chemin dans l’abri d’un cul-de-sac? Peut-on marcher ses jours sans ouvrir la voie vers une histoire qui prendra ses aises sous les pas de demain?

J’ai l’utopie du réel. J’ai les espoirs de ceux qui viendront en gestation entre mes mains et dans mes souliers. Mais j’ai la peau du sol qui martèle ses agonies sous mes semelles. Mes mains se vident comme un sablier sur le décompte des héritiers.

Oui, je rêve de rivières qui courent librement et qui portent les histoires d’hier le long de leurs flancs, sans les entraves d’un profit fantôme. Je veux sentir leurs légendes jusque dans mes veines, deviner leurs chants le long des portages qui passent à travers le temps et le couvert des bois.

J’ai entre les mains un rêve tellement grand qu’il faut le rêver maintenant et pendant plusieurs générations avant de le voir porter sa plénitude sous le châle des saisons.

Un rêve qu’il faut transmettre à ceux qui viendront après nous.

Comme un patrimoine à léguer entre la fierté et la dignité d’être un peuple, qui développe ses richesses dans le souci d’un mieux-être collectif et d’une croissance qui sert les intérêts de tous.

J’y crois encore.


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