L’idée saugrenue de Romarin (Faucille et canne de Noël, épisode 4)

19 décembre 2017Pier-Luc Brault

— Je crois que j’ai une idée, annonça Romarin à l’intention de Doucenuit, toujours au bout du fil.

— Vas-y! l’encouragea Doucenuit.

— Et si on proposait aux gouvernements de créer des coopératives de travailleurs dans chaque pays, pour fabriquer une partie des jouets?

Romarin n’obtint pas de réponse immédiate. Il en profita donc pour étayer sa pensée.

— Les autres pays craignent qu’en nous finançant, ils favorisent une compétition déloyale à l’égard de leurs entreprises, ce qui occasionnera des pertes d’emploi. Proposons-leur donc plutôt de créer des emplois, tout en remettant les clés des usines à leurs travailleurs et travailleuses!

Romarin marqua une autre pause dans l’espoir d’obtenir une réponse de la part de Doucenuit ou Lumineuse. Toujours rien.

— Ainsi, reprit-il, nous ferons d’une pierre deux coups: nous répondrons à la principale préoccupation des gouvernements étrangers sans contribuer à enrichir des milliardaires, et nous réduirons considérablement la charge de travail des lutins.

Ce fut finalement de Lumineuse qui lui parvint une première réaction à sa proposition:

— Mais Romarin, tu es au courant qu’on nous taxe déjà de communisme, à l’étranger?

— C’est un compliment comme un autre, ironisa Romarin. Sérieusement, vous n’allez quand même pas me dire qu’en 2017, l’ombre du communisme fait encore peur à quelqu’un?

— Le communisme ne fait peur à personne lorsqu’il reste confiné à l’intérieur des frontières des pays communistes, répliqua Doucenuit.

— Alors tu crois que l’idée de créer des coopératives de travailleurs va dépasser le seuil de tolérance au marxisme des populations?

— L’idée ne fera pas peur aux populations directement. Elle va d’abord déplaire, bien évidemment, aux milliardaires que nous voulons éviter de favoriser. J’ai le regret de te rappeler qu’ultimement, ce sont eux qui contrôlent les agendas des gouvernements. À la fin, on brandira effectivement le spectre du communisme pour justifier le refus de parvenir à une entente avec nous. On nous traitera d’ennemis de la libre entreprise, de la civilisation occidentale, ou de je ne sais quoi encore.

Romarin prit quelques secondes pour réfléchir à ce que venait de lui dire Doucenuit.

— Mais les gouvernements ne risquent-ils pas de s’attirer la grogne de leurs électeurs si leur refus fait en sorte qu’il n’y ait pas de distribution de cadeaux cette année?

— Mon cher Romarin, les médias du monde entier sont remplis de sondages qui indiquent que la vaste majorité des gens sont déjà convaincus qu’il n’y aura pas de distribution de cadeaux cette année.

Romarin lâcha un soupir en choisissant de changer de sujet.

— À part Trudeau, tu as rencontré qui?

— Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard. Il aimerait établir un partenariat d’affaires avec nous dans le cadre d’un projet qu’il a surnommé le « Plan Pôle Nord ». Il veut partir en campagne électorale là-dessus.

— Qu’est-ce que tu lui as dit?

— De nous rappeler l’an prochain s’il est réélu, parce que nous avons d’autres rennes à fouetter pour le moment.

— Bonne réponse!

— En revanche, j’ai eu une rencontre beaucoup plus intéressante avec les trois élus d’un parti de gauche au parlement de Québec. Ils disent suivre notre démarche d’assemblée constituante avec grand intérêt. Ils m’ont d’ailleurs invitée à leur congrès, demain soir. Ils devaient recevoir Mélenchon, mais il a eu un empêchement.

Romarin lâcha un autre soupir.

— Qu’est-ce qu’il y a? s’étonna Doucenuit.

— C’est que tu me rappelles encore une fois que ceux et celles qui, ailleurs dans le monde, défendent les mêmes idéaux que nous, n’ont que des poignées d’élus dans leurs parlements. C’est pour ça que nous sommes foutus.

— Nous ne sommes peut-être pas encore foutus, Romarin. En trois semaines, nous pouvons encore trouver un moyen de sauver les meubles.

— À part peut-être la magie de Noël, je ne vois vraiment pas qu’est-ce qui pourrait bien venir nous sauver d’ici trois semaines.

— Écoute, Lumineuse et moi serons de retour à Trèsaunord dimanche. Je réunirai le cabinet à ce moment-là, et nous déterminerons ensemble la marche à suivre. Pour le moment, espérons simplement que la nuit nous portera conseil.

Romarin tourna dans la cour de sa résidence, située au milieu d’une immense sapinière, puis immobilisa sa voiture en souhaitant bonne nuit à ses deux interlocutrices. Une fois sorti de son véhicule, il prit le temps de caresser un des rennes, venu l’accueillir au bord de l’enclos qui abritait ses comparses et lui.

Il marcha ensuite tranquillement jusqu’à la porte de la chaumière, où il fut accueilli par Marie-Noëlle, son épouse. Celle-ci lui annonça que Farandole était partie chez son ami Paindépices, et qu’elle allait y passer la nuit.

Le roman-feuilleton Faucille et canne de Noël est la suite de La nuit de Noël n’est pas un dîner de gala. Voici les épisodes de cette seconde saga:


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