L’imposture d’un peuple

16 mars 2018Jean-Benoît Baron
Catégories : Chronique , Cinéma

Le film Téhéran Tabou sort en salles aujourd’hui. Il raconte l’histoire de trois femmes vivant à Téhéran, trois destins différents, qui aspirent toutes à une vie meilleure. À ce trio se joint également le destin d’un jeune musicien, qui viendra chambouler la vie de ces dernières. Comme nous le savons tous, l’Iran est loin d’être un endroit où règne la liberté, encore moins pour les femmes. Téhéran, sa capitale, en est un bon exemple. L’état de la République islamique mène une oppression constante envers les droits de ses concitoyens, ce qui entraîne énormément d’hypocrisie et de cachotteries de tout genre. Téhéran Tabou, traite entre autres des sujets comme la prostitution, l’avortement, la virginité, l’infidélité, la drogue et les interdits religieux. Tous des sujets justement tabous dans ce coin du monde.

Pour arriver à mettre en scène un tel film, il aurait été impensable, voire impossible, de pouvoir tourner dans les rues de Téhéran à cause de la censure. Nous n’avons qu’à penser à Jafar Panahi, à qui on avait interdit de tourner des films durant plus de vingt ans et qui malgré tout, y est arrivé, avec son film à succès Taxi Téhéran, sorti en 2015. Pour ce faire, le réalisateur d’origine iranienne, Ali Soozandeh, a opté pour tourner son film en rotoscopie. C’est une technique cinématographique qui consiste à relever image par image les contours d’une figure filmée en prise de vue réelle pour en transcrire la forme et les actions dans un film d’animation. Ce procédé permet de reproduire avec réalisme la dynamique des mouvements des sujets filmés. Elle a été utilisée au départ dans des films d’animation de Disney comme Blanche-Neige et les Sept Nains ou bien le tout premier Tron et a évolué au fil du temps, avec des films comme A Scanner Darkly, Renaissance et maintenant avec Téhéran Tabou. La rotoscopie est maintenant devenue une forme d’expression artistique.

Ce qui est particulièrement intéressant de ce film, comme l’explique son réalisateur, c’est que les personnages ne sont ni bons ni mauvais, puisqu’ils sont à la fois victimes et coupables de leurs actes. Ce qui a pour effet de nous rendre empathiques de leurs destins et qui les rend plus vrais que nature, et ce, malgré le fait que ce soit un film d’animation. Les acteurs qui incarnent les personnages sont criants de vérité. La musique est également bien ficelée, d’autant plus avec le personnage du jeune musicien. Le scénario est également imprévisible et déroutant par moments. À noter également que malgré ses sujets lourds, le film nous réserve également quelques bons moments d’humour, qui vient alléger la charge dramatique.

Nous sommes privilégiés d’habiter dans un pays où nous avons la chance de pouvoir vivre dans la liberté de nos choix et d’avoir brisé bien des tabous. Pourtant, il n’y a pas si longtemps dans l’histoire du Québec, notre quotidien n’était pas très loin de celui de Téhéran. En 2018, avouons que nous avons fait un grand pas vers l’avant. La réalité pour les hommes et particulièrement les femmes est tout autre que la nôtre dans plusieurs coins du monde et particulièrement dans une région comme l’Iran. Malgré les luttes incessantes pour les droits et libertés des êtres humains qui gagnent du terrain année après année, il existera toujours des endroits où rien n’est encore gagné. Téhéran Tabou nous le démontre assez clairement et c’est une des nécessités, je crois, du cinéma.

Téhéran Tabou est disponible dès maintenant à La Maison du Cinéma, en version originale avec sous-titres français.


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