La blessure

23 avril 2018Daniel E. Gendron
Catégorie : Littérature

Au Québec, l’enthousiasme pour le hockey est visible en tout temps. Au printemps surtout, les partisans s’affirment comme de véritables maniaques de leur sport national. Ce petit quelque chose de palpable se nomme fierté.

Comme l’ensemble de ses concitoyen·ne·s, Isabelle est une fan inconditionnelle du Carcajou d’Asillon. Elle ne jure que par ce club de hockey. Elle écoute tous ses matchs à la radio, elle découpe plein de photos dans les journaux et quand la chose est possible, elle se rend à l’aréna, avec son père, pour assister à l’une de ses rencontres.

Sa passion pour son sport l’amène à s’inscrire dans une ligue de hockey pour débutantes. Après quelques essais, on lui propose le rôle de cerbère. Cette position lui plaît. Elle réussit bien. Elle domine chez les gardiens de but avec une fiche gagnante remplie de victoires.

Isabelle jouit de la considération de tous, de ses proches et de ses coéquipières d’abord, mais aussi de ses professeurs et de ses camarades. Malheureusement, après une brillante première saison régulière, notre petite chouette est tragiquement blessée lors du premier match des séries éliminatoires qui suivirent. Catastrophe! Seule une magie pourrait lui faire profiter d’une miraculeuse guérison. Les fantômes de l’aréna du Carcajou arriveront-ils à la sauver?

C’est ce que nous allons voir.

La série finale débutait. L’intensité du jeu était endiablée. Soudain, une adversaire opportuniste éclata de hargne. Elle s’empara de la rondelle. Vite comme l’éclair, elle monta droit au filet.

Arrivée dans l’enclave, la jeune fille jugea ne plus avoir de choix. Elle se laissa tomber sur la glace. Elle était exténuée. Elle glissa, elle glissa oui, mais ses patins droit devant elle, pointant les jambières d’Isabelle. La hockeyeuse aurait pu se replier un peu sur elle-même et éviter une collision frontale, mais non, elle fonça en plein sur Isabo. Celle-ci fut blessée. Un patin pénétra entre sa jambière et son genou.

Un lourd silence écrasa l’ambiance festive de l’aréna et l’incident jeta une confuse inquiétude sur la glace. Toutes les filles, muettes et impuissantes, se tenaient debout autour d’Isabelle. La gardienne de but toute étoile gisait sur la patinoire, devant son filet, les jambes et les bras écartés, immobile, souffrante.

On amena le cerbère au dispensaire. On voulait évaluer si la jeune fille pouvait reprendre le jeu et terminer le match, voire les séries. À défaut d’un traitement approprié, on désespérait presque. On la laissa récupérer seule un instant.

Un minuscule lutin apparut alors sur le tablier de la fenêtre. Il était tout habillé de rouge. Il portait une tuque pointue bleue se terminant par un énorme pompon blanc. Ses vêtements lui moulaient le corps. Des lanières de cuir lui tenaient lieu de ceinture. De longues chaussettes bleues, pure laine, le faisaient sautiller, gigoter et danser sur place. D’un seul bond, il sauta sur l’oreiller d’Isabelle et lui murmura:

— Je suis le messager des fantômes de l’aréna du Carcajou. Ne t’a-t-on jamais parlé de nous? Nous répugnons à l’idée de voir tous les enfants du quartier accablés par ton absence du jeu. C’est inacceptable. Voici un onguent magique. Laisse-moi en appliquer un peu sur ta blessure. Il te guérira instantanément et tu pourras retourner devant tes buts.

La magie opéra comme par enchantement et Isabelle put reprendre le jeu. Ce qui suivit sort de l’ordinaire. La jeune gardienne termina la partie en faisant des arrêts spectaculaires, magistraux, impériaux. Elle mena son équipe à une éclatante victoire. Elle balaya même la série en quatre matchs.

On honora la vedette de toutes les façons possibles. Quand on lui demanda quel était son secret pour aussi bien performer, elle força un large sourire et répondit la tête bien haute, les yeux légèrement entrouverts:

— Ce sont les fantômes de l’aréna du grand club. Vous connaissez? Ils veillent sur moi.

Évidemment, personne ne crut à cette plaisanterie, mais on s’en accommoda. Son talent et sa condition ne commandaient-ils pas une certaine retenue, un respect, un ménagement? D’aucuns invoquèrent qu’à cœur vaillant, rien d’impossible. Édifiant non, pour une réchappée du malheur?


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