Lire et savoir lire

7 juin 2019Yannick Pivin

Salut lecteurs et lectrices d’Entrée Libre. Voici la nouvelle édition du papier ivre. Chronique aux lignes rugueuses et larges. Sablant les certitudes où l’on s’enfarge.

Aujourd’hui faut-il lire ou savoir lire? La différence est dans la forme d’effort. Après son instruction pas d’effort pour lire. Savoir lire, c’est se mettre dans l’inconfort.

Se questionner, faire taire les préjugés. Notre grille de lecture est structurée. Normée et limitante quoiqu’on en pense. L’école nous forme à la dépendance.

Évidemment, les conventions sont utiles. Pour échanger facilement, c’est la base. Mais l’expérience de vie rend fertile. Voir contexte et non, structure et case.

La langue normalisée reste vivante. Si souvent métissée, est-elle délinquante? Étrange, dérangeant, parfois difficile. Qu’en est-il d’un texte trouvé trop facile?

Ou d’une bafouille jetée sous émotion? Ou de la froideur intense de certains mots? Ou bien du chaos de certaines impressions? De la diagonale au temps, voici les maux.

Tout n’est que règne de la quantité, plus assez de temps pour les détails et le fond, s’ils ne vous éclatent pas aux yeux, l’auteur a perdu. Du texte court au texte long, de l’article à la chronique, du poème au haïku, on ne s’embarrasse plus la cervelle, on gobe en diagonale, se ramassant dans un sens, sur une idée, sur un premier degré comme on lirait une notice de cafetière, un procès-verbal ou un communiqué. Comme pour dissocier l’auteur de son œuvre pour en faire simplement une marque.

Avec le contexte, ta lecture sera différente: par exemple savais-tu qu’Arthur Conan Doyle détestait son personnage de Sherlock Holmes jusqu’à le tuer pour faire taire ses éditeurs? que la trilogie du Seigneur des anneaux et Le hobbit n’étaient en fait qu’une sorte de commande pour donner suite à des lectures et discussions avec Tolkien qui se concentrait sur la création globale d’un univers que l’on retrouve dans le Silmarillion? Balzac, maître de la description dans les moindres détails de son époque, capable de tenir plusieurs pages sur la description d’une armoire, cette même époque où les journaux et revues payait les auteurs aux mots, malin l’Honoré… (Si tu veux un Balzac plus vrai et léger dans la forme mais pas le fond, lis la Comédie du diable, peu connue mais qui en dit long…). Ce contexte qui est nourri des éléments et des sens, pourquoi l’ignorer?

N’as-tu jamais ressenti le feu jaillissant au détour d’une citation, cette larme qui ne sait se retenir de la gravité d’une situation, ce rêve qui te fait voler ou cette réalité si terre-à-terre?

De ces éléments, combien en as-tu touchés à la fois?

Un, deux, trois ou quatre peut-être, mais étais-tu prêt ou prête à la quintessence? Savoir lire, c’est l’art de reconnaître que l’on n’a pas tous les codes pour déchiffrer, de lire entre les lignes, entre les espaces et les temps, d’en saisir le subtil et de conclure en points de suspension.

Nous jugeons, critiquons, nous permettant de transformer une affaire de goût, en vérité. Critiquer ou ne pas aimer, ce n’est pas la même chose. Pire, il est fréquent de nos jours de voir des égo-critico-intellectuels, avec leurs règles de langue morte, se permettre sur des plateaux de télévision d’expliquer à un auteur ce qu’il a écrit. Nos propres lectures sont nos propres défauts, nous affaissant en posture d’analphabètes fonctionnels, ce mal de la lecture monotype qui frappe sans distinction toutes les couches de la population, où même les universitaires se trouvent incapables de comprendre correctement un texte qui ne soit pas de leurs spécialités. Alors, qu’on lise en pixels ou sur papier, peu importe le contenu et le sujet, rappelons-nous que notre niveau d’éducation, aussi haut soit-il, ne nous met pas à l’abri d’une mauvaise compréhension et qu’il est plus important de réfléchir à ce qu’on lit, que de lire pour réfléchir. Je vous laisse cogiter sur ça (et sur certaines choses particulières de ce texte) en vous souhaitant un bon été de lectures bien décalées, on se retrouve à la rentrée.


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