Comme un épagneul mouillé

25 août 2019Danielle Desormeaux
Catégorie : Environnement

Je l’aime ma planète. Non pas comme un concept abstrait qu’il faut sauver ou comme une source de matières premières nécessaires à ma survie. Non. Je l’aime d’amour et d’eau fraîche, au naturel, inconditionnellement. Je l’aime ornée de fleurs sauvages caressées par les levers du soleil tout comme en broussailles, en déserts et en marécages. Je l’aime avec ses araignées et ses nids de guêpes, ses pissenlits et ses serpents.

J’admire son entêtement à prendre le dessus, lorsque, laissée à elle-même, son naturel revient au galop. Je m’incline avec respect devant son caractère implacable. Malgré toutes les tensions qu’elle subit, jamais elle ne s’en laisse imposer. Trop stressée, elle se déchaîne en tremblements de terre, en ouragans, en sécheresse ou en pluies torrentielles. Pour rétablir l’équilibre.

J’aime ma planète à l’échelle humaine, à hauteur de femme, le nez au vent et les pieds dans la rosée. J’ai ça en commun avec mon chien. Comme lui, j’ai besoin d’être en contact avec elle, avec sa nature, avec ma nature. J’y trouve la véritable liberté, la liberté d’être, ainsi que la paix authentique, celle de l’âme.

Lorsque nous marchons sagement dans les rues de mon quartier que l’on dit tranquille, ma chienne et moi ne rencontrons qu’aridité et hostilité. Les pavés brûlants font mal aux pattes et les automobilistes absents et pressés qui circulent en roi au volant de leur VUS dernier cri nous font peur. Les propriétaires hautains de pelouses impeccables n’hésitent pas à nous chasser, et les honnêtes passants, la tête farcie des dernières nouvelles à sensation, se méfient de nous, nous évitent ou nous lancent des regards où se mêlent crainte et dédain, comme si nous avions la peste. Dans mon quartier, tous et chacun se croient justifiés de s’adresser à moi, parce que j’ai un chien, comme si j’en étais un. Ainsi, à chaque fois que nous en avons l’occasion, ma fidèle complice et moi, nous partons à l’aventure. Et, comble de la délinquance par les temps qui courent, nous y allons avec pas de laisse!

Nous connaissons des lieux secrets, des coins de paradis pas si perdus, des oasis bourdonnants, parfumés et scintillants où nous pouvons relâcher la vigilance civilisée et suivre nos instincts. Lorsque j’entre, à travers les arbres, dans le paisible sanctuaire sauvage, c’est toute ma bulle qui prend de l’expansion, qui se relâche, s’ouvre sans crainte et se laisse toucher par la vie. En suivant le sentier étroit qui longe un plan d’eau, je songe à la terre sous mes pieds. Je sens sa densité qui résonne dans tout mon corps à chacun de mes pas sur la terre battue. Je sens sa force tranquille, sa puissance contenue, son immensité qui rappelle celle d’un ciel étoilé. Je suis une fourmi sur son dos, comme une puce sur le dos d’un chien.

Mon chien a déjà flairé une famille d’outardes près de la rive et prend un malin plaisir à les affoler en se précipitant dans l’eau, à corps perdu. Puis, déjà engagée sur une nouvelle piste, elle disparaît entre les grandes herbes que je vois valser sur son passage. Je m’approche de la berge rocailleuse et m’assois au soleil. J’ai chaud. J’ai envie de me rafraîchir en plongeant mes pieds dans l’eau, mais cette idée me gêne. Les coliformes, les pesticides, la saleté… Mon environnement est souillé, partout et de plus en plus, altéré, pillé et détruit par les activités pas suffisamment terre-à-terre des humains. Et j’ai de la peine. Pas pour la terre mais pour moi. J’ai mal car la nature, c’est moi. J’en suis, j’en fais partie. Je ne m’inquiète pas pour ma survie ou celle de mes descendants. Nous, les humains, sommes devenus de redoutables parasites sur la terre. Elle n’a pas besoin de nous, c’est nous qui avons besoin d’elle.

Ma belle chienne sort de l’eau devant moi, dégoulinante de bonheur et recouverte de plantes aquatiques à travers lesquelles s’est enroulé un morceau de plastique. Trop près de moi, elle s’ébroue, secoue son corps en une onde vertébrale qui la parcourt de la tête à la queue, pour se débarrasser de ce qui la gêne, l’envahit, l’entrave. Aspergée au passage, je ne peux m’empêcher de songer à notre planète. Un jour, c’est elle qui n’aura d’autre choix que de s’agiter du plus profond de ses entrailles, comme un épagneul mouillé, pour se débarrasser de nous et de nos déchets.


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