Seulement Dieu peut me juger

26 septembre 2019Hubert Richard

Avez-vous déjà vu sur un chandail HeadRush, la devise, only God can juge me? Je trouve cela bien placé comme devise, surtout sur une marque de linge qui exhibe une tête-de-mort.

Je vous raconte cela parce que je veux vous parler de mon expérience devant un juge de la Cour du Québec, district de Saint-François. Oui! Je suis allé faire un tour dans un palais de justice dernièrement. Mais cette fois je n’étais pas en cause. Je prenais place parmi les quelques badauds qui venaient suivre la scène judiciaire locale, en live. J’ai été surpris et quelque peu consterné de voir le juge considérer les accusés qui avaient le malheur d’être sur l’aide sociale comme indignes de sa clémence. De le voir constamment ramener sur le tapis le fait que l’accusé soit sur l’aide sociale pour justifier, d’un ton moralisateur, qu’il allait de toute évidence ne pas pouvoir vraiment être clément… J’ai trouvé ça un peu rétrograde. Avec tous les efforts que la Table d’Action contre la pauvreté a mis pour combattre les préjugés! En tout cas, il faut croire qu’à la cour du district, si une personne commet un délit criminel, peu importe la nature, s’il veut une peine amoindrie ou la pitié du juge pour un quelconque allégement, mieux vaut pour lui ne pas être sur l’aide sociale.

«Monsieur le juge, ce n’est pas facile pour une personne avec un dossier judiciaire de se trouver un emploi. J’ai déposé une dizaine de CV. Mais je n’ai toujours pas eu de réponse.»

«Bien voyons!», de l’interrompre le juge, «avec le marché du plein emploi, ça doit pas être trop compliqué de se trouver une job. Les employeurs sont plus flexibles par rapport à ça!»

Le pauvre type avait la garde de sa fille, à temps plein, et le juge en rajoute:

«Un bon père, s’il veut pouvoir combler les besoins de sa fille, ne reste pas sur l’aide sociale.»

Mais le pire c’est quand le juge s’est permis de faire une blague concernant le paiement d’une amende. Le prévenu, les menottes aux poignets, explique qu’il va pouvoir payer, mais que cela va prendre un peu de temps étant donné qu’il est sur l’aide sociale.

«Mais c’est le début du mois! Vous devriez avoir de l’argent… Vous ne pouvez pas en donner un peu?» questionne le juge sur un ton sarcastique, aucunement mal à l’aise à lui faire cracher le dernier 50$ qu’il lui reste pour passer le mois.

«Monsieur le juge, après le paiement du loyer et un peu d’épicerie, non, il ne m’en reste pas beaucoup.»

Comment un juge ose faire ce commentaire? Pourquoi un juge aurait le droit de dépouiller tout bonnement une personne qui, par la loi, a un salaire insaisissable parce que trop bas? Voilà un jugement sur la vie de la personne. Ce genre de commentaire, un voisin peut le faire. Un collecteur de dette de drogue, aussi. Mais un juge?

Non, il y a des choses que même un juge ne peut pas juger. À moins qu’être sur l’aide sociale soit devenu criminel.

Moi je ne travaille pas. Et j’ai trois enfants à charge. Oui, ils pourraient avoir plus de choses si j’avais un travail. Mais, non désolé, je ne travaille pas et je ne cherche pas non plus de boulot. À part de vouloir être votre député. Je suis passablement déjà assez occupé à faire mon bénévolat. À faire ce que des gens avec des gros salaires seraient supposés de faire. On dirait que rester longtemps sur l’aide sociale est quelque chose de moralement réservé aux personnes incapables de travailler. Bien voyons! C’est quoi cette peur de la fainéantise? Depuis quand qu’un fainéant représente une menace pour la planète? Une menace pour la société, peut-être… Parce que ce fainéant ne joue pas le jeu du travail à tout prix. Mais, la société n’est-elle pas elle-même dangereuse pour elle-même, ne court-elle pas à sa perte avec son développement économique qui menace la biodiversité et la survie de l’espèce humaine? Est-ce si difficile et si frustrant de coincer de vrais escrocs, avec leurs avocats pleins d’ascendance? Est-ce pour cela qu’il faut se payer la tête des pauvres bougres qui se traînent la patte pour se trouver un boulot?

Le pire dans tout ça, c’est qu’aucun de ces prévenus ne cherchait à avoir la clémence du juge. C’est le juge qui leur faisait miroiter un meilleur traitement s’ils avaient pris la peine de se procurer du travail. Il exhibait sa clémence comme un paon exhibe sa queue. Bref! Un spectacle plutôt navrant.


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