Haïti : révolte massive d’en bas et le rôle impérialiste du Canada

31 janvier 2020Guillaume Manningham

Suite d’une chronique sur les mouvements de contestation de masse en Amérique latine avec celui d’Haïti qui tient une place particulière. C’est le mouvement ayant subi le plus de répression par rapport à sa population (des centaines de personnes tué·e·s depuis juillet 2018). Le caractère noir et caribéen ainsi que la langue créole singularisent aussi la société haïtienne. Le rôle majeur du Canada dans l’ingérence politique et économique de ce pays nous permet de concrétiser des concepts que plusieurs croient dépassés : le colonialisme et l’impérialisme. Et de saisir que là-bas c’est ici.

Le soulèvement actuel débute en juillet 2018 suite à une augmentation de près de 40 % des prix du carburant dans un pays où une grande partie des masses populaires souffre de la faim et doit utiliser le kérosène pour cuisiner. Il n’y a pas d’accès constant à l’électricité surtout dans les campagnes. Il n’y a pas de soins de santé accessibles et on doit payer pour envoyer ses enfants à l’école y compris au niveau primaire. C’est dans ces conditions que la population pousse le gouvernement de Jovenel Moïse à reculer sur la hausse. Cet ancien exploiteur de plantations de bananes destinées à l’exportation est le successeur en 2017 du président Michel Martelly, un néo-duvaliériste et ancien partisan de la dictature des Duvalier.

La question « Où est l’argent de Petrocaribe ? » est le slogan du mouvement de révolte. On surnomme le mouvement « Petrochallenge » et ses supporters les « Petrochallengers ». C’est le cinéaste canado-haïtien Gilbert Mirambeau Jr qui lance ce slogan depuis Montréal. Le programme Petrocaribe aurait permis que le gouvernement investisse dans les programmes sociaux et les infrastructures. Le détournement de 3,8 milliards de dollars des fonds de Petrocaribe éclabousse au grand jour toute la vieille classe politique corrompue et l’élite économique du pays qui vit dans un monde parallèle de luxe. Dans un contexte de promesses trahies pour la reconstruction après le tremblement de terre, la corruption reliée à Petrocaribe comme un système soulève la population et en particulier la jeunesse.

Le mouvement connaît une nouvelle phase à l’automne 2018 et des massacres ont lieu notamment dans le quartier de Port La Saline situé dans la capitale. Le 7 février suivant, date de la fin du régime Duvalier en 1986, démarre un mouvement de grève générale qui dure 12 jours avec des manifestations massives. Elles sont réprimées durement. Le mouvement réclame trois revendications principales : la démission immédiate de Jovenel Moïse?; le jugement et la condamnation des responsables du pillage du Fonds Petrocaribe?; l’appui au gouvernement vénézuélien et le rejet de l’ingérence étrangère dans les affaires de la région, notamment de la part des États-Unis, du Canada et de la France.

Le mouvement connaît une nouvelle grève générale de masse à l’automne 2019 suite à l’inflation de plus de 20 % en un an et une pénurie de carburant. « Peyi Lòk », « Pays Bloqué », est le slogan qui apparaît en ciblant non seulement le président, mais de plus en plus l’étroit soutien politique impérialiste externe. L’ambassadeur canadien André Frenette rencontre le président Moïse en pleine grève générale pour lui affirmer son soutien et dénoncer la violence… du peuple. Pas étonnant que l’ambassade canadienne ait été arrosée de cocktails Molotov dans la révolte…
Au même moment se déroulent des élections fédérales ici et le groupe « Solidarité Québec-Haïti » dénonce le gouvernement libéral de Trudeau en organisant une occupation de ces bureaux de comté et en « l’accueillant » à Montréal. Une manifestation de solidarité a lieu en novembre réunissant quelques centaines de personnes réclamant Justice, Dignité et Réparations pour le peuple haïtien.

Ce que soulève avec justesse et passion ce groupe c’est le rôle d’enrichissement du Canada avec la misère haïtienne à travers le soutien au régime politique corrompu pour faciliter ce vol. L’ingérence et le pillage prennent plusieurs formes. Le Canada comme : 1) chef d’orchestre du coup d’État contre le président Aristide en 2004 et comme soutien étroit au processus électoral frauduleux qui existe depuis,  2) entraîneur et financier de la police et soutien au système carcéral (100 millions de dollars depuis 2004), 3) acteur favorisant la privatisation de secteurs clés et par le fait même la présence de compagnies privées canadiennes notamment en ingénierie (SNC-Lavallin) et dans les mines (or, cuivre), 4) « aidant international » imbriqué dans la promotion de l’extractivisme canadien et favorisant les cycles de dépendance où chaque dollar canadien investi en « aide » comporte une ristourne avantageuse dans la métropole. Colonialiste le Canada ? Oui, mais à visage humain… du moins vu d’ici…

Pour en savoir plus, suivez les activités du groupe:

«Solidarité Québec-Haïti?» : <www.facebook.com/SolidariteQuebecHaiti> ;

regardez sur Tout.tv l’excellent reportage d’Enquête « Peyi Lòk / Haïti sous influence?» (épisode 13) à <ici.tou.tv/enquete/S13E13>.


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