Que la force soit avec nous

2 mars 2020Danielle Desormeaux
Catégories : Féminisme , Réflexions

Zoom sur une cour d’école primaire. Un garçon, rouge de colère et pétri de honte, se jette sur celui qui vient de le traiter de fille parce qu’il a échappé le ballon. Il compte bien rétablir sa dignité en lui faisant payer de son poing au visage l’insulte suprême qu’il vient d’essuyer. Un peu plus loin, un autre garçon s’isole pour cacher ses pleurs. Il ne veut plus aller à l’école, humilié et ridiculisé par ceux qui le qualifient, jour après jour, de tapette (efféminé) ou de fille, parce qu’il aime lire et est bon en classe.

Mais qu’est-ce que le sexe peut bien venir faire dans ces drames d’enfants? Pourquoi est-ce si dégradant pour un garçon d’être comparé à une fille?

Que l’on soit de sexe féminin ou de sexe masculin, ne partageons-nous pas les innombrables et merveilleuses qualités propres à notre espèce, selon notre tem­pérament, notre personnalité et selon le contexte dans lequel nous évoluons, ou sommes-nous aussi fondamentalement diffé­rents que nous le croyons? Nous avons appris, dans nos familles, dans la cour d’école et dans toutes les sphères de la vie sociale, et ce depuis des générations, que cer­taines caractéristiques physiques, morales, intellectuelles ou affec­tives, que certains rôles, attitudes et comportements, sont naturelle­ment le propre de l’homme alors que d’autres sont réservés aux femmes. Se peut-il que cette édu­cation qui nous amène à répartir de façon mutuellement exclusive ces attributs entre les deux sexes finisse par nous dénaturer et en­gendrer beaucoup de souffrances inutiles?

Au cours de notre socialisation, nous apprenons qu’une bonne fille se doit d’être délicate, jolie, soignée, souriante, fragile, conci­liante, discrète, compréhensive, sensible, attentionnée, vulnérable et sexuellement attirante. En re­vanche, pour être gars, un vrai, il faut se montrer indépendant, en contrôle, fort, débrouillard, fon­ceur, compétitif et dominant. Les filles et les garçons qui ne cor­respondent pas à ces stéréotypes sexuels risquent de subir la désap­probation, ouverte ou implicite, ou sont carrément punis ou rejetés, parce qu’ils ou elles dérogent à l’ordre établi. Ces modèles tra­ditionnels plus ou moins rigides enferment les individus dans des identités figées, réductrices et limitatives, les privant de leur liberté d’être eux-mêmes et de s’épanouir selon leurs aspirations personnelles individuelles.

Dans notre culture aux racines profondément patriarcales, les caractéristiques dites masculines sont non seulement valorisées chez les garçons et découragées chez les filles, mais sont aussi jugées supérieures, en particu­lier dans le monde du travail. Les qualités féminines, pour leur part, sont plutôt perçues comme des signes de faiblesse ou d’infério­rité, comme des atouts de moindre importance. Cette double mesure explique en grande partie les iné­galités sociales qui existent entre les hommes et les femmes en termes de droits, de pouvoir et de privilèges. De plus, ce rapport de pouvoirs basé sur le sexe s’insinue au sein des relations amoureuses et peut facilement dégénérer en violence envers les femmes.

Dans la nature, aucun animal de sexe masculin ne tente de contrô­ler ou de dominer une femelle en l’agressant dans le seul but de la soumettre à ses désirs et à ses attentes, de la placer à son ser­vice ou de la punir de ne pas le faire. Cependant, chez les êtres humains, il arrive trop souvent que des messieurs-tout-le-monde, des gars bien ordinaires, pas plus fous que les autres et par ailleurs assez bien adaptés socialement, croient qu’il est tout à fait légi­time et justifié de s’en prendre à leur partenaire pour ces mêmes raisons. Certains allant même jusqu’à s’accorder un droit de vie ou de mort sur elle.

Les hommes qui ont profondément intégré les stéréotypes masculins au cours de leur éducation ont dû, par le fait même, refouler les dimensions de leur personnalité associées au féminin. Ils se sont coupés de leur vulnérabilité, de leur douceur, de leur sensibilité ainsi que de leur émotivité afin de correspondre au modèle du mâle alpha. Malheureusement, ce qui devait les rendre plus forts finit par les affaiblir. Amputés de ces dimensions fondamentales de leur nature, ils sont mal outillés pour développer les qualités humaines et relationnelles comme l’empa­thie, l’attention aux autres, la sen­sibilité, l’humilité, le sens du par­tage et de la conciliation. Or, ces qualités s’avèrent essentielles au développement de relations d’inti­mité saines et satisfaisantes et à la contribution à une vie en commu­nauté égalitaire et respectueuse de chacun. Car développer sa force sans cultiver son intelligence émotionnelle c’est se condamner à s’exprimer par la domination, le contrôle, la colère, l’égoïsme et le mépris des plus faibles, dont les femmes.

Acculés au pied du mur devant les multiples défis planétaires aux­quels nous sommes confrontés en tant qu’espèce humaine, cessons de piétiner et acceptons d’évoluer. Seule une profonde remise en question des stéréotypes sexuels, qui freinent notre développement autant personnel que collectif, peut nous permettre de mobiliser la force nécessaire pour effectuer les changements qui s’imposent à nous. Les femmes commencent à développer la force de prendre la place qui leur revient, la force d’as­sumer et d’affirmer leurs visions, leurs voix et leur énergie créatrice. Il est temps pour les hommes de mobiliser leurs forces pour accep­ter d’affronter les souffrances as­sociées à une masculinité blessée et pour commencer à guérir. Ils sauront alors enraciner leurs choix et leurs actions dans un profond respect d’eux-mêmes, des autres et de la planète.


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