L’adolescence entre quatre murs

9 juin 2020Sylvain Vigier
Catégories : COVID-19 , Entrevue , Témoignage

ÂGE PARTICULIER DE LA VIE S’IL EN EST UN, L’ADOLESCENCE MARQUE LE DÉBUT DE LA RECHERCHE D’INDÉPENDANCE, DE LA CONSTRUCTION DE LA SINGULARITÉ ET AINSI DE L’ADULTE À DEVENIR. MOMENT DES DÉCOUVERTES ET DES ÉMOTIONS FORTES, LES ÉCHANGES AVEC LES PARENTS À LA MAISON DEVIENNENT SOUVENT PLUS DIFFICILES TANDIS QUE SE RENFORCENT LES LIENS D’AMITIÉ ET LES EXPÉRIMENTATIONS DANS LE CREUSET DES SALLES DE CLASSE ET DES COULOIRS DES ÉCOLES SECONDAIRES. HISTOIRES D’ADOS DANS LE VÉCU DU CONFINEMENT ET DE LA RÉOUVERTURE PROGRESSIVE DU PAYS.

Ce fut d’abord une rumeur, le bruissement bien connu des nouvelles qui voyagent à la vitesse de la lumière et du wifi dans les cours d’école : « fermeture de l’école lundi pour deux semaines ». Pour Orfé, 16 ans et étudiante en secondaire 4 à Sherbrooke, la confirmation de la nouvelle l’a « excitée », anticipant « 15 jours de congé ». Elle passa même la soirée avec une amie pour en profiter,malgré les règles de confinement et de distanciation toutes récentes. L’insouciance et le plaisir de l’inédit ne pouvait pas peser lourd face à la rectitude d’une mesure administrative,même d’urgence. En revanche,pour Pascale, 16 ans et étudiante en secondaire 4, ce fut une autre histoire. « C’est quoi qui va se passer?! » a-t-elle réagi à l’annonce de la fermeture des écoles secondaires. «J’étais angoissée : c’est deux semaines que l’on perd pour l’école, et comment faire pour la suite, les cours, les examens…?». Le poids de la réussite scolaire sur ses épaules, Pascale n’envisageait pas du tout les deux semaines à venir comme des vacances. Thomas, 18 ans,qui travaille dans la restauration et termine son secondaire en étudiant libre, a été « choqué par la quasi-panique partout autour » et, surtout, a «trouvé difficile les changements apportés » dans son environnement de travail.

Ainsi, chaque ado a réagi à l’annonce de la fermeture du pays suivant ses propres sensations et perspectives. Mais deux enjeux majeurs sont apparus pour Thomas, Orfé et Pascale : passer le temps et limiter les contacts physiques avec les proches. Parce que d’abord, la vie scolaire a disparu brutalement de leur vie et les écoles ont mis beaucoup de temps à réagir et à communiquer avec les élèves confinés chez eux. « Au début, nous ne recevions vraiment rien de l’école » regrette Pascale. « J’essayais de faire mes devoirs d’avant confinement, mais c’est difficile de se motiver. En fait, c’est comme être en vacances mais il faut travailler ». Orfé a également trouvé difficile cette scolarité à distance tout en s’estimant privilégiée du suivi parental dont elle dispose et convaincue que ça devait être bien plus difficile pour d’autres élèves qui ne bénéficient pas des mêmes soutiens qu’elle. Finalement, une routine de cours à distance se mettra en place pour Orfé et Pascale une semaine avant l’annonce du déconfinement au mois de mai.

Mais « passer le temps pour ne pas tourner trop “vege” », comme le nomme Orfé, a été un enjeu. Thomas a « cherché et cherche encore des façons de faire » et s’est mis au design 3D par ordinateur. Pascale a trouvé le temps long « d’abord deux semaines, puis un mois, puis deux mois… » et a compensé par de la lecture « mais à un moment, tu lis vite tout ce que tu as chez toi ». La fermeture des écoles, ça n’est pas que l’arrêt de la scolarité, mais aussi celui des activités de groupe et parascolaires. Orfé, dont les loisirs (musique, langues) sont très liés à l’école, a tout perdu d’un seul coup. Néanmoins, grâce à ses ressources et son imaginaire, elle s’est organisé « un projet de voyage fictif pour 2021 », une façon de compenser la mission qu’elle devait effectuer cet été en Amérique du Sud.

Plus que l’ennui, c’est le sentiment d’isolement et de séparation qui a été le plus difficile. « Moi, je trouve ça injuste qu’on n’ait pas le droit de sortir comme on fait habituellement et je voudrais juste que tout redevienne comme avant et tout le monde aussi » résume Thomas. Et on ressent toute sa frustration quand il nous parle de comment il voit le « déconfinement » et le futur proche : « En profiter au maximum pour faire n’importe quoi. Pour pouvoir revoir des personnes qu’on n’a pas pu voir pendant cette mi-année complète. Il y a tellement de choses que plusieurs d’entre nous voulons faire, mais ça va dépendre des mesures qui ont été mises pour définir qu’est-ce qu’on a le droit ou pas de faire cet été ». Une fois isolé, on réalise l’importance des contacts physiques. « Plus de câlins » regrette Pascale, « toucher l’épaule de quelqu’un quand on lui parle » se rappelle Orfé. Des plaisirs simples et instantanés qui sont, on se pince pour le croire, a priori interdits.

Et demain? « J’espère qu’on va tirer des leçons pour l’avenir, à commencer par écouter les scientifiques sur les changements climatiques » souhaite avec conviction Orfé. Pascale note avec beaucoup de pragmatisme que « le monde d’avant n’existe déjà plus si on doit garder deux mètres de distance pendant plus d’un an ». Et la pandémie et le confinement l’ont fait avancer dans ses réflexions sur l’avenir : «J’ai réalisé que les humains détruisent la planète, car là où l’activité s’est arrêtée, on a vu revenir la nature. J’espère donc des changements dans ce sens.Mais quand Justin Trudeau dit “on fait tout ce qu’on peut”, j’ai vraiment envie de lui répondre “non, tu fais rien!” ».

Un avenir incertain dans un futur proche limité. Être adolescent en 2020 n’a rien d’un âge d’or.


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