La Déesse des mouches à feu

24 février 2021Souley Keïta
Catégories : Chronique , Cinéma

Une critique, sans trop divulgâcher.

Actualisé

La Déesse des mouches à feu avait subi la deuxième fermeture des milieux culturels. Après s’être envolé durant six jours, le film a dû, malencontreusement, descendre de son nuage à cause de la situation sanitaire. Je vous remets la très belle entrevue de la réalisatrice et je vous invite à voir une oeuvre renversante. Le hasard fait bien les choses, cinq mois après le 26 lui porte chance.

Généralement, il y a toujours cette bonne intuition qui ne nous quitte plus lorsque l’on sent qu’un film a toutes les qualités requises pour porter au plus haut son message et attirer de très nombreux spectateurs. 

Un message fort, sensoriel, évocateur, sans détour, et possible retour. 

Un message dont les puissants contours ne laissent pas de doute dans la recherche identitaire, rock’n’roll, de cette adolescente de 16 ans dont la vie familiale paraît sens dessus dessous et qui s’enfonce dans les expérimentations avec ses nouveaux amis.

À travers les visions parfois oniriques, parfois cauchemardesques, à travers les subtilités sensorielles, le film de Anaïs Barbeau-Lavalette donne une consistance au phrasé de Sartre lorsqu’il disait que l’Enfer, c’est les autres. 

Ces autres qui maintiennent Catherine, interprétée magistralement par Kelly Dépeault, la tête sous l’eau. Parmi ces autres, on retient les prestations de Normand D’Amour, Caroline Néron, Éléonore Loiselle, Antoine Desrochers, Robin L’Houmeau ou encore Noah Parker.

Le film, La Déesse des mouches à feu, auréolé du Grand Prix au FCVQ 2020, nous fait plonger dans le chaos violent, brutal des relations dans les années 90, quelles soient parentales ou amicales. Ce monde où la solitude était prenante et étouffante, ce monde où le regard sur l’autre prend une signification.

Ce monde où la fuite est l’ultime échappatoire.

Entrée Libre a pu obtenir une rencontre téléphonique enrichissante avec la réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette :

Souley Keïta : La première image est toujours révélatrice d’un élément crucial du film. Est-ce qu’à travers la chute d’eau à l’envers, vous soulignez que tout va de travers à partir du moment où l’on ne prête plus attention aux autres?

Anaïs Barbeau-Lavalette : C’est un rapport un peu plus poétique que j’ai avec la présence de l’eau dans le film. Dans le roman, initialement cela se terminait avec le début à Saguenay et une chute qui emportait tout sur son passage. Le personnage de Catherine était témoin de cela. Je ne voulais pas évacuer complètement l’eau. On a décidé avec la scénariste Catherine Léger de fabriquer un dénouement plus lumineux, affectivement parlant. On ressentait ce besoin de pousser la cellule familiale à se retrouver. J’ai choisi de raconter le déluge intérieur de Catherine qui voit sa propre noyade avec ce personnage qui accumule les épreuves, mais ne craque jamais, ne pleure jamais, même s’il y a quelque chose qui doit se libérer. Ce n’est pas la fin de la mue, la fin du changement de l’enfance à la jeune femme, qui doivent être le point culminant de cette transformation. Sans tomber dans une analyse trop intellectuelle, il y avait vraiment le désir de mettre en lumière ce côté sensoriel et onirique de la noyade intérieur de ce personnage, par le biais des images de l’eau, mais également par le montage sonore qui illustre ce milieu aquatique. 

Souley Keïta : En parlant de noyade, il y a ce moment où la mère place le tableau de La Grande Vague de Kanagawa de Hokusai. Il y a ce ressenti de voir à travers cette scène, une vague qui renverse les derniers espoirs d’une mère et qui s’apprête à happer les derniers espoirs de Catherine.

Anaïs Barbeau-Lavalette : Cette interprétation est juste, même si ce n’est pas celle à laquelle j’ai pensé en composant le cadre ou même la mise en scène. D’abord, par rapport au personnage de Catherine, elle est dans une recherche identitaire bouleversante, totale, cela peut être parfois brutal, dans son cas ça l’est. C’est une transformation qui peut être paradoxale au cinéma. Je l’ai vécu de cette façon, parce que nous filmons un personnage, qui de notre point de vue est en train de sombrer, d’être en rupture par rapport à son noyau familial alors que de son point de vue, Catherine voit cela différemment, elle est en train de se propulser vers un autre âge, à une autre étape de sa vie. Il y a un double mouvement à l’intérieur de ce personnage. En tant que directrice d’acteurs, c’est assez intéressant à construire, car il y a une complexité dans l’évolution du personnage. Concernant l’eau, il y a plusieurs éléments placés à certains endroits, qu’ils soient issus de la nature ou qu’ils soient des éléments de décor, il y a toujours un rappel au déluge qui est présent dans le roman. Dans le film, je le raccroche au déluge intérieur de Catherine.

L’autre élément qui a une présence accrue dans le film, c’est le feu, avec d’abord des désirs visuels comme les mouches à feu, les feux de camp, les lumières de la ville, etc. Le feu est plus associé à la chaleur de son nouveau groupe, de ses nouvelles relations affectives, de ce groupe qui lui permet de passer au-delà du tumulte familial.

Souley Keïta : Vous mettez en lumière deux clivages, deux relations parents-enfants. Voyez-vous en cela une certaine désillusion, car, peu importe les relations bonnes ou mauvaises, chacun fuit les responsabilités de s’intéresser à l’autre?

Anaïs Barbeau-Lavalette : Je pense que les parents vivent des moments douloureux et ils ont vraiment du mal pour sortir de cette douleur. Cela crée trois solitudes dans cette famille. Il y a quelque chose de très puéril et de violent dans la façon dont les éléments se déroulent. Chacun est pris dans sa propre douleur et ils occultent complètement celle de leur fille. Dans cette génération des années 90, il n’y a pas de réseaux sociaux, pas de téléphones cellulaires, il y avait un besoin d’être ensemble qui était plus prononcé. On se retrouvait en groupe de manière naturelle. C’est un âge où l’on peut se sentir profondément seul durant ce point tournant de la vie. On se rend compte également que l’on se sépare de nos parents, que l’on construit une identité qui nous est propre et que cela ne se fait pas sans heurts, c’est aussi un constat violent de notre solitude. Je pense que le regard des autres sur soi est important, car à travers ces zones de complicités avec la gang, les premières histoires d’amour, c’est cela qui aide à se définir dans ce passage de la cellule familiale à la cellule individuelle. 

Souley Keïta : Il y a plusieurs plans marquants notamment lors d’une dispute des parents, vous mettez en œuvre le fait que Catherine doive prendre part à cela, comme un problème qui la poursuit. Est-ce que vous dénotez qu’il n’existe pas d’échappatoire? 

Anaïs Barbeau-Lavalette : C’est une bonne question par rapport à l’échappatoire, car le thème de la fuite est présent aussi dans le roman. Il y a un désir d’être ailleurs que chez elle qui est vivace, car Catherine est complètement coincée dans les éclats affectifs de ses parents qui sont très maladroits. Ces parents la mêlent dans leurs tourments, car ils ne savent pas comment lui dire qu’ils l’aiment comme la scène lorsque Normand d’Amour vient récupérer son vinyle, c’est sa fille qu’il veut, mais il n’arrive pas à mettre des mots pour lui dire. Les chemins des discours affectifs ne sont pas déblayés surtout pour le père.

Laissez-vous subjuger par La Déesse des mouches à feu, dès ce vendredi 26 février à La Maison du Cinéma.


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