DU TEMPS QUE LES SURRÉALISTES AVAIENT RAISON

9 novembre 2020Célian Raia
Catégories : Climat , Environnement , Opinion

« LE TEMPS EST VENU OÙ LE MONDE DOIT ÊTRE DÉBARRASSÉ DES DIRIGEANTS-ESCLAVES, DES AVEUGLES QUI CONDUISENT AUJOURD’HUI LA MALHEUREUSE MULTITUDE À L’ABÎME ». AINSI GEORGES BATAILLE ET ANDRÉ BRETON PRÉVENAIENT EN 1936 DU DANGER À VENIR. ON SAIT COMME IL FUT PROFITABLE AU PLUS GRAND NOMBRE D’IGNORER LES MISES EN GARDE DE LEURS ÉMISSAIRES DE PAIX ET DE PROGRÈS SOCIAL.

Il serait cliché d’écrire que cette déclaration n’a jamais été autant d’actualité. Cliché et faux : elle n’a jamais cessé de l’être. En revanche, je dis que nos dirigeant·e·s sont plus esclaves et hypocrites que n’étaient celles et ceux présidant aux prémisses de la Seconde Guerre mondiale.

Du temps que les surréalistes tonnaient pour tirer la sonnette d’alarme, les pouvoirs politiques étaient esclaves d’une idée de patrie et d’une réalité capitaliste. Ils firent le choix de suivre le courant et d’acquiescer aux caprices mêlés de ces deux maîtres artificiels. La société n’était pas au service de l’humain, mais bien l’inverse.

Si l’idée martiale de patrie a eu les conséquences que l’on connaît, chacun·e constate à son échelle ce que produit le capitalisme sans freins. Cela fait plusieurs années que la dévastation des espèces vivantes et de leurs habitats n’est plus remise en question. De désastreu·x·se·s ignorant·e·s osent encore débattre de la responsabilité humaine dans les changements climatiques, mais la disparition progressive et déjà majeure de la biodiversité à l’échelle mondiale est une constatation douloureusement dénuée d’équivoque.

Un consensus mondial s’est établi sur les répercussions de ce problème : à moyen terme, c’est la merde. Retour comme en 36 à la veille d’une horreur programmée. Retour aux lanceur·se·s d’alerte que l’on ignore ou que l’on moque, quand on ne les fait taire. Retour dans un arrière où la multitude est, de nouveau, conduite à l’abîme.

Devant l’inaction manifeste des gouvernements, nous devons nous demander : de quoi nos dirigeant·e·s sont-iels esclaves aujourd’hui ? Mais c’est bien là que le bât blesse : nous le savons. Tous. Nous savons que la situation de crise maintenant bien initiée dans laquelle nous vivons – et vivrons – est globalement le fait de systèmes économiques basés sur une croissance perpétuelle et de lobbies qui ont tout intérêt à maintenir le statu quo.

En cela, nos dirigeant·e·s sont plus esclaves et hypocrites que leurs prédécesseur·e·s. Plus esclaves, car esclaves non seulement d’idées et de mécanismes sociétaux, mais aussi d’autres humains. Et plus hypocrites car leurs discours usent sans cesse d’un « green-washing » qui n’entrave pas leurs crimes commis contre l’Humanité. On se souvient des mots de Macron : Make our planet great again ! On cherche en vain leurs concrétisations.

Dans son dernier ouvrage, Aurélien Barrau écrit que notre présent doit choisir de privilégier « des vies ou des biens, des espèces ou un système, un avenir ou un instant ». Le choix est imposé : ne rien faire, c’est encore choisir. Voilà cinq ans que Pablo Servigne mettait en mot l’évidence qu’ « aujourd’hui, l’utopie a changé de camp : est utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant ». Comme avant, mais aussi comme maintenant.

Toute politique qui ne fait pas de l’écologie et des progrès sociaux sa priorité doit être taxée d’absurdité et considérée comme une menace. Mais aujourd’hui comme ces dernières décennies, la vision à long terme et la lucidité restent absentes de la sphère politique. Au Québec, la CAQ était le pire parti en termes de mesures environnementales. Il a été élu. En France, Macron était le pire candidat en termes de mesures environnementales. Il a été élu. La liste est longue : les États-Unis, le Brésil, le Royaume-Uni, l’Italie, bien d’autres pays encore, tous ont choisi de tourner le dos aux réalités du nouveau millénaire. Tous ont choisi en toute connaissance de cause que la situation mondiale, actuelle comme future, pouvait être aggravée au bénéfice d’un modèle qui n’apportera pas de solutions – mais qui au contraire est générateur d’inégalités sociales et d’aberrations écologiques.

Cependant, il me semble erroné de croire qu’un effondrement du système s’impose comme conclusion inévitable de notre irresponsabilité. Nos sociétés ont déjà prouvé leur résilience : ce n’est pas une apocalypse qui soldera notre indifférence. Réalité moins palpitante, nous choisissons un monde où l’austérité et la consternation, à tout le moins, suivraient dans sa croissance une économie toujours plus incapable de créer du bonheur. Un monde que les gens de ma génération n’augurent pas seulement pour leurs enfants, mais aussi pour eux-mêmes. Un monde que nous avons le droit civique et le devoir moral de refuser.

Nous avons les moyens de donner corps au refus, de lui donner pouvoir. Notre vote, nos boycotts, nos désobéissances civiles sont autant de leviers pour incliner les tendances suicidaires de nos systèmes. Ces leviers sont dans toutes les mains, mais il faut des mains fermes, décidées et conscientes pour les manoeuvrer. Devant l’inaction générale, il faut des mains fermes comme 1000, décidées comme 10 000 et conscientes pour l’ensemble. Il faut le courage du contre-courant pour sauver le navire où, tou·te·s, nous sommes embarqué·e·s; le courage de la contestation pour sauver l’arche où sont pillées nos vraies richesses.

Ce qui nous sauvera, là encore, nous le savons déjà . Hormis les quelques citations de cet article, je n’espère et ne crois rien apprendre au lecteur. Ce que je veux tient dans le pouvoir simple et rassembleur d’un texte qui atteint. Un texte qui touche au coeur de chacun·e pour lui signifier qu’il n’est pas seul·e, que des frangins et frangines comprennent comme lui notre situation, sa gravité – comme la nécessité et la beauté de lui faire toujours lutte.

À celles et ceux qui luttent déjà, je veux vous partager mon souffle et fortifier vos flammes. À celles et ceux qui se croient impuissant·e·s, je veux vous dire que la lutte est possible et qu’être révolté·e est plus que légitime. À tou·te·s, je demande une solidarité sans peurs qui saura seule nous raisonner : aimez-vous, révoltez- vous, soyez conscient·e·s – il en va de la vigueur d’un camp qui est celui des justes, et sur lequel l’Histoire n’a d’autre choix que fonder ses espoirs.


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