Faire entrer le peuple au conseil municipal

7 mars 2021Claude Saint-Jarre

ENTRETIENT AVEC ROMÉO BOUCHARD, RÉDACTEUR DU JOURNAL QUARTIER LATIN À L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL DANS LES ANNÉES 70, PUIS AGRICULTEUR BIOLOGIQUE À KAMOURASKA ET COFONDATEUR DE L’UNION PAYSANNE. IL EST ÉGALEMENT AUTEUR D’UNE QUATORZAINE DE LIVRES DONT « GENS DE MON PAYS» OÙ L’ON PEUT VOIR SES JOLIS DESSINS EN PLUS.

Entrée Libre: Vous dites qu’il faut profiter des élections municipales pour mettre de l’avant une nouvelle approche de la démocratie municipale. Quelle est cette approche?

Roméo Bouchard: Le peuple est absent des Conseils municipaux. Il s’est produit un divorce entre les citoyens et leurs élus locaux. On leur confie une fois aux quatre ans le mandat de gérer, selon les règles établies par Québec, les services de proximité : aqueduc, égouts, rues et chemins, loisirs, bâtiments communautaires, police, service incendie, plan d’urbanisme, déchets, permis de construction, développement local et aménagement du territoire immédiat. Les citoyens ne s’en mêlent pas à moins de scandale, et les élus préfèrent ne pas se faire déranger par les citoyens. C’est le divorce à l’amiable.
Pourtant, la municipalité, locale et régionale, est le premier palier où est censé s’exercer la souveraineté du peuple. C’est toute la qualité de vie de la communauté qui est en cause. Les citoyens ne devraient pas seulement élire le conseil municipal : ils devraient continuer après l’élection à participer aux décisions, mieux encore, à décider. Mais pour ça, il faut qu’on leur en donne la chance et les moyens.
Il faut profiter de cette élection pour commencer à rapprocher les citoyens de leur conseil municipal et de leur MRC et leur permettre d’intervenir directement.

EL: Dans un de vos derniers ouvrages, « Décentralisons nous ! », vous plaidez en faveur d’un « effort collectif d’éducation à la vie nationale et démocratique ». Peut-on avoir une idée du contenu d’une telle éducation?

RB: À la base, il s’agit de faire prendre conscience aux citoyens qu’ils détiennent la souveraineté du peuple. En démocratie, c’est le peuple qui est censé décider et se prendre en charge. Les élus sont là pour coordonner et mettre en oeuvre la volonté du peuple. Présentement, les gens se désintéressent de la politique à tous les niveaux parce qu’ils constatent qu’ils n’ont rien à dire et que leurs élus font tout pour les tenir loin.

De là, il faut expliquer aux citoyens comment ils peuvent participer aux décisions et même décider eux-mêmes sur les questions importantes. Le Code municipal s’en tient au minimum : les élections et les assemblées publiques du conseil le premier lundi du mois. Mais rien n’empêche les citoyens d’exiger des assemblées publiques de consultation sur les enjeux importants. Rien ne les empêche d’exiger des référendums consultatifs, tel que prévu dans le Code municipal. Rien ne les empêche de proposer à leurs élus de faire l’expérience de l’initiative populaire, c’est-à-dire la possibilité pour les citoyens d’initier une demande pour abolir ou adopter un règlement lorsqu’elle a recueilli un pourcentage important de signatures d’électeurs. Rien n’empêche les citoyens de proposer une démarche collective pour doter leur municipalité de sa propre constitution où ils exprimeraient l’identité de leur communauté et comment ils veulent se gouverner.

EL: Dans votre livre « Constituer le Québec », vous suggérez de fonder un Conseil de la vie démocratique dans chaque municipalité, ville et MRC, le tout coiffé par un Conseil ou Ministère national de la vie démocratique. De quoi s’agit-il au juste?

RB: Pour être en mesure de participer aux décisions qui concernent le bien vivre de leur communauté, les citoyens ont besoin de s’informer, de se former, de se mobiliser, de se rencontrer et de s’exprimer. La communauté devrait pouvoir nommer une équipe et avoir accès à un local et à des équipements de communication pour animer cette vie démocratique : un local, un téléphone, un ordinateur, une imprimante, des livres et des journaux, de quoi publier des tracts, un bulletin, faire des réunion, donner des cours, et même, pourquoi pas un jour, un terminal permettant le vote électronique sur des projets majeurs du Gouvernement.

La démocratie est une vie : il faut l’animer, la nourrir, la développer, l’informer, la former, approfondir l’identité et l’appartenance collective qui sont la base de l’action collective, de projets collectifs, de revendications collectives, de solidarité collective.

Une condition essentielle à tout ça, c’est évidemment que les élus acceptent de jouer le jeu, qu’ils comprennent qu’ils sont là pour servir leur peuple et lui permettre de décider collectivement. Le conseil municipal, local ou régional, ça devrait devenir LE vrai comité de citoyens qui coordonne et anime la vie de la communauté.

Avec la crise écologique et sanitaire, il est de plus en plus clair que l’avenir est dans le développement de communautés locales et régionales vivantes, autonomes et durables.


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