Sophie et ses hommes (Saison I, Épisode 6) : L’école buissonnière

14 mars 2021Sophie Parent

J’AI UN VIF SOUVENIR DE MON PREMIER JOUR À LA MATERNELLE: MA MÈRE AVAIT RÉUSSI À RENTRER PLUS TARD À L’USINE CE MATIN-LÀ, POUR VENIR M’Y RECONDUIRE. MAIS PAS TROP TARD; LA GÉNÉROSITÉ DU BIG BOSS AVAIT QUAND MÊME SES LIMITES. DANS LA COUR D’ÉCOLE, ELLE M’A AIDÉ À RETROUVER MON ENSEIGNANTE AVANT D’AVOIR À PARTIR TRAVAILLER. J’AURAIS AIMÉ QU’ELLE PUISSE RESTER PLUS LONGTEMPS.

J’étais terrifiée, mais pas question de pleurer.
J’voulais être brave.

Ma classe était située au deuxième étage. Je m’en rappelle, parce que je revois le grand escalier que je peinais à monter avec mon sac trop lourd sur le dos. Les autres parents qui sont rentrés avec leurs enfants pouvaient les aider avec leurs sacs, eux. Moi, je me tenais à la rampe pour y arriver toute seule. C’est un papa qui a discrètement soutenu mon sac par la ganse, pour que j’arrive à grimper jusqu’en haut de l’escalier.

Quand l’enseignante a fait signe aux parents qu’il était temps de quitter pour débuter la journée, plusieurs enfants se sont mis à pleurer et à hurler pour ne pas être séparés de leur père ou de leur mère. Au milieu de ce chaos, j’avais le coeur gros.

Mais pas que.

C’est qu’au-delà de la peur, j’avais hâte d’aller à l’école « comme une grande », même si ça signifiait d’affronter l’inconnu sans ma mère ! D’ailleurs, c’est un peu comme ça que je me suis sentie ces derniers jours.

Forte de ma nouvelle résolution de choisir le désir et d’essayer de réinventer mes relations, j’ai accepté de rencontrer un premier non-monogame. Sur les applications de rencontre, je le swipe toujours à gauche d’habitude, mais cette fois-ci j’ai décidé de donner sa chance au coureur.

Pour notre première rencontre, il a proposé qu’on fasse le tour du Lac des Nations. Ce même lac, dont j’ai fait le tour des centaines de fois. Celui où je me suis lassée des rencontres toujours pareilles. On dirait que ça m’a déçue de sa part. J’y ai vu un signe annonciateur de monotonie et ai décidé de ne pas trop me faire d’attentes. Soudainement, j’y allais de reculons.

C’est à tout ça que je pense, en stationnant ma voiture près du Marché de la Gare. Je suis arrivée d’avance et j’essaie de le voir arriver, de mon habitacle. Je cherche nerveusement une confirmation de sa banalité, pour pouvoir mettre rapidement fin à la rencontre et rentrer chez moi. Quand je le vois arriver et venir à ma rencontre, je suis bouche bée.

Contre toute attente, je le trouve charmant. Dès les premiers mots qu’on échange, je décide de lui faire confiance. Il dégage un charisme incroyable et une aura de bienveillance. On dirait qu’après autant de rencontres infructueuses, je n’y croyais plus. Dans un premier tour, on fait connaissance. Dans le second, on parle de valeurs profondes, de peurs et on philosophe. C’est une rencontre qui m’anime, complètement. Puis, la discussion arrive sur le sujet.

Comme si c’était une chose banale, il sort son téléphone et se met à me montrer des photos des personnes avec qui il est en relation, en me parlant affectueusement de chacune d’entre elles. Ça me déstabilise complètement, parce que soudainement, son mode relationnel prend toute la place. Ça devient vrai. Je ne peux pas l’ignorer et faire comme si c’était presque pareil au couple. C’est comme si je prenais enfin la mesure de tout ce que ça impliquait, de vouloir actualiser mes convictions.

J’suis terrifiée, mais pas question de reculer.
J’veux être audacieuse.

Le courage, ce n’est pas l’absence de peur, mais plutôt d’agir malgré celle-ci, qu’on m’a dit. Je sais que l’inconnu fait peur, et que je suis en train de sauter dedans à pieds joints. J’me revois petite, au pied du grand escalier, tout en prenant la mesure du travail personnel et de déconstruction que ça va me demander. Je suis effrayée par tout ce que ça représente, mais pas que.

C’est qu’au-delà de la peur, j’ai hâte d’être arrivée en haut de ses escaliers.

Photo de couverture: (C) Paula Cloutier 2021


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