MARIA CHAPDELAINE (2/2)

13 octobre 2021Souley Keïta
Catégories : Chronique , Cinéma

Un regard sans trop divulgâcher. 

Maria Chapdelaine de Sébastien Pilote va laisser une empreinte forte dans la vision que l’on se fait du cinéma. Certes, il est indéniable de souligner la belle réalisation, mais que serait un film sans la direction d’acteurs. Les personnages qui jaillissent de la fresque du réalisateur sont marquants. 

D’ailleurs pour Entrée Libre, Émile Schneider et Antoine Olivier Pilon nous livrent la vision qu’ils ont de leur personnage.

Souley Keïta : J’aimerais revenir sur vos personnages. Eutrope Gagnon et François Paradis, la discrétion qui s’oppose à la soif de liberté, est-ce que pour vous Maria Chapdelaine, c’est avant tout un regard porté sur la nécessité de changement?

Antoine Olivier Pilon : Oui ! Je crois que l’on pourrait voir en Maria cela. Elle arrive à l’âge adulte et elle se retrouve face à cette décision de grandir face à ce choix des prétendants. Eutrope représente à mes yeux la continuité de ces gens-là, de ce que sa famille a bâti, la tradition, mais également le monde d’où vient Maria. Lorenzo représente l’exode, la modernité alors que François Paradis est un entre-deux. 

Émile Schneider : Dans ce que je recevais du livre, je dirais que oui, absolument. Dans le film, on le ressent moins, car François vient lui proposer de s’installer dans deux ans, une fois qu’il aura amassé assez d’argent pour construire dans la région. Il lui propose ce qu’elle connaît déjà. François Paradis a un cœur d’aventurier, c’est un nomade et il représente cette personne qui refuse de se laisser enfermer dans un dogme. En lui proposant ce projet, il brise un peu l’image que l’on peut se faire parfois du trappeur, de l’homme des bois qui a passé sa vie sur la route. Bien évidemment, il est cette partie, mais il est également lié aux Inuits, aux Premières Nations. Il représente l’arrivée d’un nouveau vent de liberté dans le Québec, dans l’Amérique du Nord, mais pas autant que Lorenzo, qui pour sa part, vient de la ville et représente la modernité, l’arrivée de la technologie. François, quant à lui, reste proche de la nature. Il est la représentation d’une étape du changement, Lorenzo est à un palier différent, mais attention, les changements techniques et économiques ne sont pas des gages d’évolution pour l’être humain, car Maria sera sans doute enfermée dans d’autres dogmes.

Souley Keïta : Nous avons trois jeunes prétendants : débrouillards, indépendants financièrement et prêt à tout pour Maria. Pourtant comme elle, on reste dans l’inconnu dans ce que vous pouvez lui apporter humainement. Comment percevez-vous cet aspect de vos personnages?

Antoine Olivier Pilon : Je pense que Eutrope a envie de lui offrir de l’écoute et surtout du support, d’ailleurs il met vraiment les cartes sur la table envers Maria. Dans sa demande en mariage, il lui mentionne cela dans le respect, dans le calme. Je pense surtout qu’il veut lui offrir cette continuité et donc une zone de confort que Maria connaît. Avec Eutrope, il n’y a pas de faux semblant, car il ne se prétend pas quelque chose qu’il n’est pas et reste ancré dans la même idéologie, le même mode vie que les Chapdelaine. Il lui offre ce qu’elle a déjà acquis humainement.  

Émile Schneider : C’est ce qui m’a le plus manqué lorsque j’ai relu le livre de savoir ce qu’on peut apporter humainement à Maria. C’est dans ce contexte que je trouve que l’œuvre a le moins bien vieilli, car Maria est face à des choix, elle pourrait faire complètement autre chose et nous envoyer promener. Cela serait agréable. Elle pourrait également dire oui à un prétendant, mais choisir comment cela va se faire.  Il ne faut pas se tromper, les mœurs étaient différentes à cette époque et nous sommes restés fidèles à l’œuvre, car cela met plus en relief le cheminement et l’évolution des mœurs. Si Maria Chapdelaine était une femme indépendante, cela aurait été un choix artistique, mais l’œuvre serait complètement dénaturée par rapport à un choix dirigé. Ce qui n’est aucunement la mission d’un film de mémoire telle que Maria Chapdelaine. 

Souley Keïta : Je voudrais pousser le spectateur à s’intéresser sur les difficultés que vous pouvez rencontrer dans les rôles de composition d’un personnage du début du XXe siècle. Comment s’intègre-t-on dans un personnage de 1910? Quels sont les embûches, les difficultés et l’impact que cela a sur vous?

Émile Schneider : J’avais déjà exploré une époque presque similaire, soit 20 ans plus tard donc j’avais déjà fait des recherches. Une des façons de plonger dans une époque est par le biais de la littérature. À travers le cinéma également où il y a beaucoup d’images notamment avec des documentaires du début du siècle. Je m’y suis intéressé pour voir la posture, mais je trouve qu’il n’y a pas tant de changement au fil du temps excepté dans la lenteur des mouvements, mais aussi dans le fait qu’il y ait une force, un calme, une sagesse qui se dégage du corps. On ressent qu’il y a moins de stress. L’approche de Sébastien est très esthétique ce qui fait que l’on a un François Paradis calme, qui est très posé lorsqu’il est avec Maria. Ces deux personnages se sont créés une bulle. C’est un personnage qui a une aura lumineuse et une confiance qui se dégagent de lui.

Antoine Olivier Pilon : Je dirais que pour ma part, il faut presque ne pas jouer. Le département artistique, les décors, les costumes ont tellement fait un bon travail que pour moi, mettre mon costume le matin et ensuite me déplacer dans un décor qui représente ces années était une façon extraordinaire de remonter le temps. Vouloir jouer ces années-là serait presque trop, car pour moi cela reviendrait à dépasser la limite entre jouer un personnage ou être un personnage. Le simple fait d’être ce personnage, le simple fait d’être présent ou à l’affût de ce qui se passe sur le plateau et autour m’a beaucoup marqué. C’est ce que j’ai beaucoup aimé à travers ce film. L’impact que cela a eu sur moi, c’est ce ressenti d’avoir eu la possibilité de voyager dans le temps. D’ailleurs, il y a une scène où je suis stand-by le soir, toute l’équipe est à l’intérieur de la maison Chapdelaine, où la famille attend qu’Eutrope rentre pour veiller un soir avec eux. C’est l’hiver, je suis à l’extérieur dans mon costume d’époque avec mon fana, j’attends. Je me souviens qu’à un moment il y avait un tel silence autour de moi, je me suis demandé où j‘étais, je regarde mon costume et je me posais la question en quelle année je suis, car il n’y avait aucun indice de notre époque actuelle. Je suis au milieu d’une forêt sauvage avec cette petite cabane en bois devant moi et ce moment m’a marqué, car j’ai eu la chance de retourner à cette période. C’était authentique. 

Retrouvez sans plus tarder l’exquise Maria Chapdelaine toujours en salle à La Maison du Cinéma. Le coup de cœur de l’année.


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