Le Dune de Jodorowsksy

31 octobre 2021Claude Rohrbacher
Catégorie : Cinéma

L’évènement cinématographique de cette fin d’année sera sans aucun doute la sortie du tant attendue Dune de Denis Villeneuve. Certains ont encore en mémoire, gravé au fer rouge sur leurs rétines, la première tentative de David Lynch d’adapter le livre de science-fiction le plus vendu au monde. Mais avant que notre national Denis ne décide de s’attaquer à ce mastodonte et avant Lynch, il y a eu Alejandro Jodorowsksy.

Ce nom, bien que peu connu du grand public, titille l’oreille de nombreux cinéphiles. Car Jodo (appelons-le Jodo) c’est le réalisateur culte d’El Topo, un western métaphysique (oui-oui) qui devient la figure de proue du mouvement des « midnight movies ». Au milieu des années 70, fier du succès critique d’El Topo et de son film suivant La montagne Sacré, Jodo décide de se lancer dans l’adaptation de Dune.

Malheureusement, le film ne verra jamais le jour, des soucis financiers et de production ayant eu raison de lui. Toutefois, le projet fut suffisamment avancé et les informations pour en faire une véritable arlésienne de cinéphiles. À l’image du Don Quichotte de Terry Gilliam, ou du Megalopolis de Coppola, Dune rentrait dans le club select des grands films jamais réalisés. De ce projet naquit un documentaire : Jodorowsky’s Dune, sorti en 2013 et réalisé par Frank Pavich. Le long métrage relate l’épopée sisyphéenne que fut la production du film. Alors, qu’en est-il ? Cette adaptation avait-elle l’étoffe de la légende qu’elle engendra ?

On m’a vendu ce Dune de nombreuses fois comme : l’un (ci ce n’est le) meilleur non-film et pourtant je pense que j’aurais détesté ce film. Jodorowsky est un guerrier : j‘admire énormément sa persévérance, et sa volonté d’imposer sa vision en tant qu’artiste.

Sa grande victoire fut d’avoir réuni une équipe titanesque pour réaliser ce projet : Moebius, O’Bannon, Giger, Pink Floyd et j’en passe. Les story-boards du film me font personnellement rêver et il n’y a qu’à regarder le travail qu’on fait O’Bannon et Giger sur Alien pour comprendre à quel point ce film fut un magma de génie artistique. Mais le problème avec ce film c’est Jodorowsky lui-même. Il survend le film, ça en est indécent ! Je ne pense pas que le bonhomme ait un égo surdimensionné, je pense qu’il croyait tellement en ce projet qui n’a jamais abouti, qu’il l’a idéalisé. Durant tout le documentaire, il décrit son film comme prophétique, culte et j’en passe. Pourtant, hormis les magnifiques artworks et la distribution, nous n’apprenons en réalité pas grand-chose.

La vision de Jodorowsky de l’univers de Dune semble onirique, comme une expérience de drogue qui aurait mal tourné. Personnellement, je suis tout, sauf fan de ce genre d’expérience au cinéma, et tout ce que me décrit Alejandro dans ce documentaire me dégoûte plus qu’autre chose (même si l’onirisme est un thème récurrent de Dune). Il décrit lui-même son film comme « son rêve », et c’est bien ce que semble être sa vision du film, un rêve : bordélique et personnel, compréhensible que par son auteur.

Comme il le dit lui-même «  raped Herbet, with love ! » ( déjà, un viol avec amour, ça reste un viol, donc si tu pouvais éviter…). Selon lui, on ne peut pas reproduire fidèlement une œuvre, il faut la « violer », imposer sa vision. Premièrement, interpréter visuellement une œuvre littéraire, c’est déjà imposer son point de vue sur celle-ci, on n’est pas obligé d’en dénaturer le scénario ou le propos pour gagner le droit d’avoir une «  vision artistique ». Je ne suis absolument pas contre les « adaptations libres », mais considérer celles-ci comme les seules adaptations « artistiques » est d’une arrogance malvenue.

Jodorowsky’s Dune est un bon documentaire concernant un projet fou (on peut lui valoir ça), son réalisateur aura su réunir une équipe géniale pour réaliser un travail dantesque. Ce projet n’ayant jamais vu le jour personne ne saura réellement si Jodorowsky aurait été à la hauteur de son équipe, et chacun de ses mots dans ce documentaire me font croire que non.

Je finirais sur le fait que Jodorowsky propose une alternative magnifique à ce projet : l’animation. J’avoue que cette idée me fait déjà plus plaisir!


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