En France, l’extrême centre au pouvoir

5 mai 2022Sylvain Vigier

Emmanuel Macron a été élu président de la République française pour une 2e fois face à Marine Le Pen. Ce résultat ne doit pas donner l’impression que rien n’a bougé depuis 5 ans dans le paysage politique français. Au contraire, la réélection de Macron — avec moins de voix qu’il y a 5 ans — confirme la formation d’un « extrême centre » puissant, mais minoritaire. Autour de lui, les partis traditionnels disparaissent et font la place à deux blocs radicaux et bien identifiés : à gauche La France Insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon, et à droite le Rassemblement National (RN) de Marine Le Pen. Cette recomposition du paysage politique en trois blocs très antagonistes n’est pas exclusive à la France et pourrait s’observer au Québec lors des élections provinciales de cet automne.

Trois blocs forts, mais minoritaires

Si Macron avait remporté la présidentielle de 2017 « par effraction » comme il le dit lui-même, c’est un président bien installé qui est arrivé en tête du 1er tour de l’élection le 10 avril 2022 avec 27,9% des voix. Sûr de sa force, il a mené une campagne extrêmement courte sur le sujet clivant et marqué à droite de l’âge de départ à la retraite. Cette force, il la tire de sa réussite de centrage de l’offre politique sur une doctrine libérale et eurocentriste : « diminution des impôts pour favoriser l’investissement »; « plus d’intégration européenne ». Voilà une philosophie politique que n’auraient pu renier en son temps le Parti Socialiste (PS) de François Hollande (dont Macron a été ministre) et l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP, devenu Les Républicains — LR) de Nicolas Sarkozy (qui a soutenu la candidature de Macron). Avec une gouvernance autoritaire et centrée sur sa personne, soutenue par une pléthore de députés novices et sans voix à l’Assemblée nationale, la présidence de Emmanuel Macron a installé une « politique de l’extrême centre ». Ce concept (de Pierre Serna et Alain Denault) décrit une gouvernance politique technocratique basée sur le libéralisme économique et une vision « apolitique » du monde définie par « le rationnel » et « l’efficacité ». Cette gouvernance exerce un pouvoir plutôt autoritaire et discrédite toute opposition en la présentant comme un « extrême » ne tenant donc pas compte du « réel ». En phagocytant presque intégralement le PS (1,7% des voix pour Anne Hidalgo) et de LR (4,8% pour leur candidate Valérie Pécresse), Macron a fait le vide autour de lui, et ainsi créé l’espace à l’émergence des blocs radicaux de LFI et du RN. Ces deux blocs sont appelés sans réelle distinction « les extrêmes » par le bloc de Macron, bouclant la boucle de la définition de « l’extrême centre ». 

De leur côté, Mélenchon (21,95% des voix au 1er tour) et Le Pen (23,15%) ont réussi à agréger ce qu’il restait de la droite et de la gauche qui ne se retrouvait pas dans l’offre de Macron. Ces trois blocs totalisent donc presque les trois quarts des voix du 1er tour (73%), ne laissant que des miettes aux 9 autres candidats dont le 4e, Eric Zemour, se retrouve très loin derrière avec 7,07% des suffrages.  

Le 4e bloc de l’abstention

Ces trois forces écrasent donc tout, mais aucune d’elle n’a la majorité des voix. Macron a remporté le 2e tour grâce aux voix de la gauche et au rejet important que représentent le RN et le nom de Le Pen en France. Un même rejet (indiqué par les sondages) aurait très probablement eu lieu si Mélenchon s’était retrouvé face à Macron au 2e tour. Une sorte de « barrage républicain » à l’envers se serait très certainement constitué autour de Macron, cette fois avec les voix venues majoritairement de la droite pour éviter un « péril rouge ». 

Ainsi, on observe un certain blocage du jeu démocratique où la position « d’extrême centre » rafle la mise à tous les coups face aux « extrêmes » des blocs radicaux. Cependant, un 4e bloc qui représente plus d’un quart des électeurs inscrits sur les listes (26,3%) a le potentiel de faire pencher la balance lors des élections législatives du mois de juin prochain. Le vote Macron a été majoritaire chez les 18-24 ans, alors que cette classe d’âge s’est abstenue de voter à 40%. Mélenchon est arrivé en tête de la classe d’âge des 25-34 ans qui s’est abstenue à 38%. Une analyse poussée de la sociologie de l’abstention permettra d’identifier où se trouvent les réservoirs de voix de chacun. Mélenchon a manqué le 2e tour de l’élection présidentielle pour un peu plus de 400 000 voix derrière Le Pen, ce qui est très peu face aux plus de 13 millions de non-votants. C’est d’ailleurs LFI qui a le mieux compris cet enjeu en faisant une campagne de sensibilisation et de mobilisation très forte auprès des populations les plus éloignées du vote. Les clivages entre les trois camps étant si forts, il est plus simple de convaincre un non-votant que de faire changer de camp un votant. Le travail terrain réalisé par LFI lors de l’élection présidentielle pourrait s’avérer payant pour les élections législatives, alors que le mode de scrutin (majoritaire à deux tours) favorise clairement Macron et défavorise sans aucun doute Le Pen.

Une recomposition politique au Québec?

Au Québec, la valse du pouvoir des 40 dernières années entre libéraux et péquistes pour mener des politiques libérales similaires a quasiment radié le PQ de la carte politique. François Legault a émergé des rangs du PQ — comme Macron l’a fait du gouvernement de François Holland et du PS — pour former la Coalition Avenir Québec (CAQ), sorte de synthèse des deux anciens partis. Tout comme Macron, en France, Legault a installé un gouvernement d’extrême centre au Québec, qui aspire ce qu’il reste des anciens partis et fait la place à des offres politiques plus radicales. À gauche, Québec solidaire avec ses bons résultats en 2018 s’est installé comme la 2e opposition officielle devant le PQ. À droite, le Parti libéral du Québec a su résister dans ses châteaux forts en 2018, mais peine à exister. Dominique Anglade tente d’évoluer vers la gauche sans être capable de faire oublier les politiques d’austérité de Philippe Couillard. Certains sondages donnent le Parti conservateur du Québec de Éric Duhaime à 20% en 2e position derrière la CAQ, reléguant loin derrière le PLQ. Si ces mêmes sondages prédisent au PQ un destin similaire à celui du PS de Hidalgo, la formation d’une droite dure anti-impôts, pro-identité et libertaire comme Éric Duhaime tente de créer reste encore à concrétiser dans les urnes. 

Si la recomposition des forces politiques observée en France n’est pas seulement un phénomène particulier à ce pays, mais bel et bien la concrétisation d’un mouvement du corps politique plus large déjà observé dans d’autres pays occidentaux (Brexit au Royaume-Uni; Mouvement 5 étoiles en Italie; Podemos en Espagne), un nouveau paysage politique pourrait émerger également à la suite des élections au Québec.


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