PAS D’CHICANE DANS MA CABANE

10 juin 2022Souley Keïta
Catégories : Chronique , Cinéma

Une critique sans (trop) divulgâcher.

Le divorce vu par les enfants.

Je l’abordais dans une question où j’évoquais l’idée que les films nourrissent notre conscience cinématographique. La thématique du divorce est beaucoup plus présente aujourd’hui, mais comment le vivent les premières victimes, les enfants, les adolescents ? 

Depuis 1991, j’avais grandi avec la comédie légère de Patrick Braoudé, Génial, mes parents divorcent, film où la mort du couple parental constitué un échec imputable à l’enfant, raillé et tiraillé par ses camarades. Je vais mûrir avec Pas d’chicane dans ma cabane, où on dénote qu’il n’y a plus à se cacher auprès de ses camarades, plus à avoir honte de l’échec du couple parental. À travers le film où Justine, une enfant pleine de maturité et de convictions, semble sentir la fracture entre ses parents qui se disputent sans cesse, elle décide de trancher dans le vif du sujet en réclamant le divorce. Accompagnée de ses amis, elle décide de tout mettre en œuvre pour se rassurer sur une issue, celle de voir ses parents se séparer.

Film jeunesse ?

J’abhorre parfois l’idée du « film jeunesse » avec la crainte de l’ennui, de ne pas avoir d’émotions, de passer un moment pénible, car on infantilise des êtres intelligents, capables de discernement. J’ai été très vite rassuré par le regard de Sandrine Brodeurs-Desrosiers, ce même regard bienveillant sur la ténacité de sa jeune héroïne. J’ai été par moment touché, par moment satisfait de ce que l’on me proposait dans la facture cinématographique, j’ai été peiné par ses multiples visages qui se confrontent à de dures réalités, sans avoir un mot à dire. 

La réalisatrice, qui a réalisé une quinzaine de courts-métrages, signe un premier long-métrage à la belle sensibilité qui bousculera le public, tant les adultes que les enfants, sur une réflexion par rapport à un fait de vie ô combien important (le divorce) et sa solution : la communication au sein de la famille.

Libre a pu s’entretenir avec les jeunes pousses du cinéma québécois qui donneront de la voix dans le deuxième article sur le film.  Pour le premier, je laisse la parole à la réalisatrice, co-scénariste, qui signe un premier long-métrage, Sandrine Brodeur-Desrosiers :

Souley Keïta : Première image, première question. Vous nous embarquez dans l’idée d’une comédie pourtant vous soulignez tout au long du film, les drames, les déchirements de nos vies autant parentales, qu’enfantines. Était-ce important de démontrer que finalement personne n’en sort indemne de ces divorces ?

Sandrine Brodeur-Desrosiers : Je ne sais pas si tout le monde s’en sort lorsque la vie est difficile. On se rend compte à travers la première image qu’il y a l’idée de mise en scène, car on s’aperçoit qu’il n’y a que des choses positives sur la séparation des parents. Au final, il y a quelque chose que l’on apprendra au courant du film. À travers le film, on découvre bien évidemment les deux côtés d’un divorce et que c’est à nuancer. Dans la genèse, Maryse Latendresse, qui est la co-scénariste de ce film, me disait que le divorce de ses parents était une bonne chose. Elle voulait un peu inverser la donne en amenant de la nuance. Ce film est avant tout une œuvre sur la communication familiale plus que le divorce tel quel. C’est un vecteur pour parler de la communication et du bonheur en famille. Il existe des modèles familiaux et à travers, on peut retrouver l’harmonie et le bonheur. Dans le cas de mon personnage principal, elle a deux amis qui vivent des situations où les parents ont divorcé alors qu’elle pense que c’est mieux. Pourtant, elle va se rendre compte que c’est son histoire à elle et qu’elle doit trouver elle-même sa solution.

Souley Keïta : « Ce n’est pas aux enfants de s’occuper des parents », pourtant il y a une nécessité de les faire changer ou de dire ce qui ne va pas. Est-ce que pour vos personnages, on a ce besoin de dire aux jeunes spectateurs et aux spectateurs qu’ils sont capables de mettre des mots sur ce qui les blessent dans les séparations ?

Sandrine Brodeur-Desrosiers : Oui, mais ce n’est en aucun cas moralisateur. Comme je l’évoquais auparavant, cela se joue au niveau de la communication, de pouvoir exprimer ses difficultés, son mal-être. Oui, il y a l’encouragement de la communication, mais en même temps chaque enfant, chaque adulte va trouver son compte, trouver ce qui vient résonner chez lui par rapport à sa vie, par rapport à sa famille. Cela prend un certain courage d’en parler, j’espère qu’il y aura des opportunités de changement pour ces enfants. Ce n’est pas ridicule, ce n’est pas impossible d’élever sa voix dans ce monde d’adulte même si les adultes ne peuvent pas tout partager, mais c’est sûr que cela affecte les enfants. Dans un sens comme dans un autre, on s’y retrouve. 

Souley Keïta : Je vais aller dans mes interprétations. De ces innocences qui nous poussent à grandir trop vite. On ressent à travers ton film des univers tant musicaux que visuels qui nous relate ces enfances volées. Visuellement, il y a Le Magicien d’Oz, musicalement on peut ressentir la fibre de Moonrise Kingdom ou Stranger things, est-ce qu’il y a ce lien où tu nous dis qu’à travers ces univers ou l’interprétation que j’en fais, on nous pousse à grandir trop vite sans pour autant profiter de notre enfance ?

Sandrine Brodeur-Desrosiers : C’est vraiment le fun comme interprétation. La musique a beaucoup évolué dans le processus de création. On les imagine d’une manière et ils finissent d’une autre manière. Ce film a été un réel processus pour différentes raisons. Je me suis rendu compte lors du montage que je voulais des choses beaucoup plus épurées, car j’ai pour habitude de faire des choses naturalistes et je voyais que cela ne fonctionnait pas du tout. Je travaille souvent avec Myriam Magassouba au montage et Peter Venne à la musique, nous nous sommes rendu compte que ce que nous avions fait sur les projets précédents ne collait pas au film. Tout ce qui était plus ludique fonctionnait, une de mes idées au départ était de faire, à travers la musique, un pied de nez de l’enfance de la part d’enfants qui traversent un nouveau passage, mais également des enfants par rapport aux adultes, car pour moi, je pense que les enfants peuvent faire de grandes choses et s’exprimer face à des sujets d’adultes. C’est un peu le parcours que j’ai vécu. J’ai fait beaucoup de projets avec des enfants, ce sont des films qui ont fait beaucoup de festivals jeunesse, des films que les enfants voyaient, des films que je présentais dans des écoles et pour lesquels j’avais beaucoup de questions. Je ne considérais pas que c’était des films faits pour les enfants et je pense que je leur en devais un. Les enfants que j’ai rencontrés étaient hyper intelligents, brillants, authentiques, je voyais qu’ils avaient le goût d’avoir une parole et qu’ils avaient des choses à dire. Ce que je trouve intéressant c’est la possibilité de leur offrir maintenant une tribune avec ce film.

Souley Keïta : J’avais grandi avec Génial mes parents divorcent (1991) de Patrick Braoudé, où le divorce était tabou, je vais mûrir avec Pas d’chicane dans ma cabane où le point du divorce est pesant, 

Sandrine Brodeur-Desrosiers : Sur la page Facebook du film, quelqu’un avait cette référence, en demandant si c’était un remake, pas du tout. Je ne le connaissais pas. J’en sais plus maintenant avec cette description. De ce film où le divorce était tabou, on va à l’inverse, car c’est un sujet qui l’est moins puisque 40% des familles sont divorcés aujourd’hui. C’est un sujet lourd, mais il y avait le but de faire un film lumineux et où les enfants sortent avec leurs propres idées, sont plus alerte. On avait visité une classe où il n’y avait qu’un seul enfant dans ce cas de figure et nous l’avons trouvé très renfermé sur lui-même. Il y a des enfants qui le vivent difficilement et j’espère que ce film va apporter un peu de lumière sur leur situation.

Souley Keïta : Le bon côté cache souvent le mauvais côté, celui où l’adulte se consacre à sa vie, à son métier au détriment des enfants oubliés. Est-ce que c’est amené l’idée de croire que l’on ne veut pas d’autres problèmes à penser ? Est-ce qu’il y a une volonté de se rassurer alors que tout s’effondre ?

Sandrine Brodeur-Desrosiers : Le fait que personne ne questionne Justine sur ce qu’elle veut est un peu de son ressort. On a voulu créer un personnage un peu borné, et peu importe la situation, elle se lance et va le faire quand même. Il y a la scène où Justine veut se rendre à Montréal pour que ses parents divorcent et malgré les réticences de ses meilleurs amis, elle décide d’y aller, jusqu’à les embarquer dans ce périple.

 Ses idées sont déjà faites donc avec la co-scénariste, cela nous permettait d’aller plus vite (rires). Il y a aussi cette vitesse imposée où la professeure fait de son mieux auprès de ses élèves, mais elle n’a pas vraiment le temps pour plonger dans leurs états d’âme. 

À découvrir sans plus tarder, et cela dès aujourd’hui, dans les salles obscures de La Maison du Cinéma.


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