LE CHAMP DES POSSIBLES, Entracte.

15 août 2022Souley Keïta
Catégories : Art , Chronique

Retrouvez sans plus tarder, à la Galerie G de Br, l’exposition Le Champ des possibles, entracte, jusqu’à mi-septembre.

Donner vie aux yeux,

À cet œil vide qui se dépose sur l’œil plein, 

Surgit cet œil coloré qui veut enlacer l’œil blême,

À travers un œil solitaire qui veut tant se glisser dans ces yeux regroupés.

Lorsque cet œil diurne retrouve son œil nocturne. 

Dans une opposition, l’œil graphique veut comprendre l’œil de peinture.

Je m’immisce dans la galerie et me pose un instant, je dépose un regard sur d’autres regards, une multitude de regards, qu’ils soient de profil, de face, en biais, incliné, de ¾, de haut ou de bas pour comprendre que l’exposition de Linda Vachon est avant tout chose des regards de peinture, d’art graphique, de photographie qui se répondent les uns aux autres, communiquent sur ce monde que l’artiste leur a créé, leur a octroyé. 

On y plonge indéniablement avec beaucoup de sensibilité dans ce partage, car le regard est universel et donne à regarder l’autre, que ce soit avec les yeux… ou avec le cœur. 

Lors de la première exposition de la galerie en 2021, Le Temps Lumière, Linda Vachon nous faisait découvrir une facette de son art, de ces personnes qui vivent dans ses tableaux, nous racontons un passage de leur histoire, un moment de tristesse qui embrasse la gaieté, car il faut savoir se rappeler de l’un et de l’autre pour mieux se comprendre. L’artiste autodidacte l’a compris et nous livre avec tant de joie ces moments indissociables. Elle s’est confiée à Entrée Libre :

Souley Keïta : J’aimerai qu’en premier lieu, tu te présentes pour qu’on apprenne d’abord à te connaître et qu’après on fasse connaissance avec ton art.

Linda Vachon : Avant tout, je vais te nommer mon âge parce que dans mon parcours je trouve qu’il est essentiel. J’ai 56 ans, je m’approche du 57 et c’est important car cela fait seulement 6 ans que je suis rentrée dans le milieu des arts. L’art m’a habité depuis plus longtemps, mais lorsque tu restes dans une ville industrielle où l’art est moins accessible, les opportunités artistiques sont amoindries. Je n’ai pas étudié à l’extérieur et je suis toujours restée dans mon petit environnement. J’ai mis du temps avant de me donner le droit d’aller dans cet univers artistique. Avant 50 ans, j’avais des connaissances d’artistes de Montréal mais à Victoriaville et dans les environs, j’avais zéro amis artistes. 

À 50 ans, je suis née une deuxième fois, artistiquement. C’est ce moment où j’ai rencontré des amis artistes avec qui on pouvait parler de l’art et mettre des mots sur ce que l’on veut exprimer dans l’art. 

Concernant l’exposition, il faut se dire que ce que l’on voit actuellement à la galerie, il y en a beaucoup encore qui sont chez moi. C’est une exposition où les gens achètent et partent avec. La galerie va être unique à chaque jour, car cela va bouger sans cesse. Les filles de la galerie vont être sans cesse en création d’accrochage. Cela va être le fun parce que lorsque je vais revenir ce sera un autre décor.

Souley Keïta : On ressent à travers ton art comme une multitude de phases émotionnelles, entre gaieté et tristesse. Ton art s’empare du tout. Est-ce qu’il y a une volonté de dire que la vie, nos vos vies ne doivent pas aller dans une seule direction ?

Linda Vachon : L’art pour moi est très thérapeutique. Longtemps dans ma vie, je me suis dit que mes peines étaient lourdes à porter. À un moment donné, je me suis également dit que ce sont ces peines qui me propulsent le plus haut. Cette peine qui te fait descendre très bas et qui peut te faire remonter la pente plus haute. Théoriquement, on le sait que l’on doit tout faire pour remonter mais ce n’est pas aussi simple.

 Dans mon cas et chez d’autres personnes, la tristesse et la gaieté peuvent passer très vite de l’un à l’autre. Ce sont des moments qui sont bénéfiques, même lorsqu’il y a de la tristesse, après coup, tu te rencontres que cela t’a apporté quelque chose. Les deux directions sont toutes les deux essentielles. Ce moment où tu es capable de saisir le positif dans le négatif est important dans une vie, car on gère mieux ces montagnes russes entre ce qui est gai et ce qui est triste. Il y a des gens pour qui la vie est beaucoup plus compliquée, pour qui c’est triste bien trop souvent et bien trop longtemps, je le comprends également. Dans mon cas personnel et dans ce que j’ai vécue, je pense qu’on se rapproche d’une paix lorsqu’on accepte que ce soit cela la vie. Dans mon quotidien, je me donne la chance de faire vivre mes proches qui ont quitté ce monde. D’ailleurs, lorsque je mange une clémentine, je la mange pour mon père, car il aimait beaucoup ce fruit. Je sais que cela fait longtemps mais je pense toujours à lui. C’est notre héritage et il faut le faire vivre.

Souley Keïta : De ces faces, de ces profils qui creusent notre être, notre regard. Je mentionne beaucoup l’idée de l’art du regard, celui qui décrit la certitude ou l’incertitude qui se dégage de personnage qui ont un besoin de capter nos regards. Peux-tu nous en dire plus?

Linda Vachon : Oui le regard est important, mais c’est souvent inconsciemment que je vais y aller sur cela. C’est l’avantage lorsque les autres portent un regard sur notre travail et décrivent leur vision, j’adore cela, car c’est très enrichissant. C’est arrivé où quelqu’un va voir sur un tableau quelque chose que je n’avais pas vu et il y a un apprentissage de deux visions. C’est le fun l’art pour cela, pour cette liberté qui est donné, tant dans la création que dans le visionnement. Mon art est spontané, il n’y a pas une préméditation où je me dis que j’installe un tableau et je vais travailler cela. C’est comme une conversation avec le tableau où j’analyse pendant que je le fais. 

Souley Keïta : J’avais découvert une partie de ton univers l’an dernier, celle que la galerie donne à voir dégage une spécificité : la présence animale dans certains tableaux, jusqu’à cette fusion dans ce tableau entre un chat et un homme. Peux-tu nous en dire plus.

Linda Vachon : Les animaux ont pris beaucoup de place dans ma vie et dans mes tableaux. C’est pareil que les humains pour moi, c’est une autre façon de vivre, c’est juste un autre langage. On parlait du regard tout à l’heure, mais pour ma part avant de nourrir mon chien, on se regarde. Je ne veux pas qu’il me donne la patte, je ne veux pas qu’il y ait une relation qui impose l’idée de maître, je veux juste que l’on se regarde dans les yeux pour lui souhaiter un bon appétit. Ce moment est universel car on communique. Concernant le tableau, j’avais fait un visage et c’est arrivé que je l’ai vu avec un corps d’animal. Sur un autre tableau similaire, l’animal peint disait « oh non, je suis en train de devenir un humain. »

Souley Keïta :  La galerie est à toi durant cet entracte et j’aimerais souligner la justesse de la disposition de tes œuvres au travers de cette exposition

 On peut voir dans la disposition celle où la couleur prend naissance mais aussi celle où la couleur disparaît. Celle qui inaugure un mouvement de l’œil ou celle qui fige notre regard sur un personnage, est-ce que l’on peut suggérer que certaines choses tristes doivent rester figées pour mieux avancer? 

Linda Vachon : Je ne vais jamais dans ce sens-là. Du côté où la couleur est plus absente, il n’y a pas que de la tristesse. Il y a un tableau qui se démarque et qui me rend vraiment heureuse. Ce tableau avec la danseuse où il est dit : « Elle danse sous la pluie pour soigner ses blessures et il pense qu’elle est folle. » Pour moi, il me procure du pur bonheur et il peut y avoir de la tristesse dans le très coloré, un peu comme dans les musiques faites par Les Colocs. Ces musiques avaient des rythmes très enjouées, les gens chantaient, dansaient alors que le chanteur était en train de saigner dans le texte. La couleur ne va pas nécessairement avec une gaieté. Le tableau avec la phrase « Tu ne peux pas toujours t’enfuir » relève aussi de quelque chose de positif dans le sens où il y a une acceptation. À force d’éviter ou de fuir on passe à côté de plein de choses et ce tableau montre qu’il faut dès à présent affronter.


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