Plus de routes, ou moins d’autos

13 mars 2023Sylvain Vigier
Catégories : Éditorial , Opinion

La fermeture du pont St-François sur la rue Terril démontre combien la gestion des axes de circulation est un enjeu crucial dans l’organisation d’une ville, surtout quand celle-ci est traversée par deux rivières. Se retrouver pris dans le trafic à l’heure de pointe à Sherbrooke tient quelque part du non-sens pour une ville qui reste de taille moyenne (160 000 habitants) et desservie par des autoroutes extérieures. Mais c’est un fait, la circulation est congestionnée à partir des croisements King – Belvédère jusqu’au Cégep, et cela risque de se maintenir jusqu’à la réouverture du pont en septembre. Dans une publication Facebook plus que maladroite trois semaines après la fermeture du pont, la Ville de Sherbrooke «recommand[ait] d’éviter la rue King Ouest à l’heure de pointe». Merci du conseil, mais ce détour est envisageable pour les personnes en auto. Lorsque l’on se déplace en bus, on reste tributaire du trajet de la ligne, et le trafic s’impose à vous de la même façon.

Puisque l’on parle de bus, cette fermeture du pont St François pourrait être l’occasion d’installer de nouvelles habitudes de déplacement dans la population Sherbrookoise. Le phénomène des habitudes est bien connu en psychologie, où les études montrent que 30 jusqu’à 80 % de nos comportements sont le fait d’actions automatiques et ancrées dans la routine quotidienne. Cela prend donc des circonstances exceptionnelles pour les modifier et en adopter de nouveaux. La Ville de Sherbrooke a mis en place un stationnement incitatif au Carrefour de l’Estrie pour les automobilistes en provenance de l’ouest. Cependant, ce stationnement n’a été couplé à aucune offre nouvelle de transport en commun comme par exemple : une navette directe vers le Cégep passant par la 610; l’augmentation de la fréquence des bus partant de ce point vers l’est de la ville; la gratuité du trajet; la création d’une ligne exceptionnelle express reliant le carrefour au Cégep via la rue King. En somme, la Ville de Sherbrooke compte sur notre bonne volonté et notre discipline pour abandonner notre auto dans un stationnement et de monter dans un bus sans aucune garantie que celui-ci nous amènera à la destination attendue en au moins autant de temps qu’avec notre auto solo. Résultat : même les bus sont pris dans le trafic et il est fort à parier que quasiment personne n’a modifié ses habitudes de déplacement dans ces circonstances. 

Sur le pont…, on y danse…

Au même moment, la chaire de recherche de « Gestion de l’énergie » à HEC Montréal publiait son rapport annuel de « l’État de l’énergie au Québec »1. Ce rapport montre que la consommation énergétique par habitant au Québec est identique à celle faite par les habitants des États-Unis. La consommation énergétique en transport par québécois équivaut quasiment à la consommation énergétique mondiale par habitant (48 GJ v/s 52 GJ). Le rapport note également que « les ventes d’essence sont à la hausse et le parc de véhicules à essence grandit et grossi » avec une « part des ventes des véhicules utilitaires sportifs (VUS) et autres camions à essence continue d’augmenter dans le marché » ceux-ci pouvant consommer 50 % d’énergie supplémentaire dans leur version électrique qu’une voiture électrique. 

En résumé, lorsque l’on considère que 43 % des émissions de gaz à effet de serre au Québec proviennent du transport, on comprend que l’on n’est pas du tout sur les rails de la transition énergétique mais bien sur « l’autoroute vers l’enfer climatique » comme le nommait sans détour le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres à l’ouverture de la dernière COP. Voilà pourquoi il est essentiel de ne perdre aucune occasion pour modifier nos habitudes de déplacement. La mise en place de couloirs de bus réservés sur les grands axes de circulation à Sherbrooke serait sans aucun doute une mesure très impopulaire lorsque l’on voit les réactions à la fermeture du stationnement au centre-ville ou à l’idée de «danser sur un pont» fermé. Mais notre avenir commun repose sur un changement en profondeur de notre mobilité, et un couloir de bus est un vrai changement comparé à une troisième voie de circulation pour les autos.


1 Whitmore, J. et P.-O. Pineau, 2023. État de l’énergie au Québec 2023, Chaire de gestion du secteur de l’énergie, HEC Montréal, préparé pour le gouvernement du Québec.


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