LES FEMMES DU SQUARE

11 mai 2023Souley Keïta
Catégories : Chronique , Cinéma

Le film, qui fait du bien, sort en salles dès demain, vendredi 12 mai 2023, à La Maison du Cinéma.

Une critique sans trop divulgâcher.

S’attacher au social

Parler du social avec la caméra et dans un quotidien que l’on ne (veut) voit pas forcément, c’est dans cela que s’ancre le cinéma de Julien Rambaldi, parler des choses qui peuvent décontenancées comme ce fut le cas avec Bienvenue à Marly-Gomont où son film reprend l’histoire vraie et difficile de ce médecin arrivé d’Afrique et son acclimatation, dans un village français durant les années 70, pour se faire accepter et exercer son métier. Toujours avec un esprit de comédie dramatique, son film C’est la vie!, en 2019, avait éclairé le quotidien d’une sage-femme qui effectue sa dernière journée avant la retraite et qui va avoir cinq femmes qui vont accoucher la même journée. Un film qui trace le chemin sur la pénurie dans les maternités et le sacrifice des sages-femmes (sages-hommes) qui repoussent le plus loin possible leur retraite pour subvenir aux besoins des femmes qui accouchent.

Dans Les femmes du square, le scénariste et réalisateur s’attaque à un sujet sur ces femmes qui sont tellement utiles à la société et qui parfois délaissent l’éducation de leurs enfants pour ceux des autres. 

Le film établit le reflet d’une société qui profite bien trop souvent de ces femmes courageuses qui vivent dans des conditions parfois précaires.

Un sujet complexe et délicat à aborder, car on peut parfois tomber dans les clichés que l’on a bien trop souvent dans le cinéma lorsqu’il s’agit de parler d’une autre communauté. Pour ma part, cela devient presque une hantise de voir cela au cinéma. Je trouve que le réalisateur réussit son pari, en se tenant à une réalité qu’il a lui-même vécue, de ne pas tomber dans ce que l’on a trop souvent vu. Par ailleurs, on m’a souvent éduqué au cinéma qu’il fallait attendre le white savior pour que mon personnage issu d’une autre communauté s’en sorte. Il est fort plaisant de voir un film qui s’en éloigne considérablement.

On l’appelle Eye Haïdara.

Synopsis : Angèle, jeune femme ivoirienne, vit de son culot et de sa tchatche aux côtés de malfrat. Pour s’éviter à nouveau des représailles et sous les conseils de Wassia, elle se fait embaucher comme nounou de Arthur. Elle va se confronter au quotidien précaire des autres nounous et se battre pour elles…

Elle nous avait subjugués dans Le sens de la fête de Olivier Nakache et Éric Toledano. Ce qui lui avait valu une nomination aux César en tant que meilleur espoir féminin, en jouant notamment le bras droit du personnage interprété par le regretté Jean-Pierre Bacri. On prend toute la mesure de son talent à nous émouvoir par sa sensibilité, son parlé dans le dernier film de Julien Rambaldi, qui pour sa part prouve une fois de plus sa dextérité à mettre en lumière le sociale avec une fibre humoristique. Angèle n’a clairement pas sa langue dans sa poche, faisant fi des conventions qui nous incombe de nous taire. 

Un scénario et ses personnages sont souvent des améliorations de situations dans lesquelles on se dit parfois que j’aurais dû dire cela, Angèle nous le dit clairement et c’est pour cela qu’on s’attache à ce personnage tranchant dans le vif. 

Il y a du bon de ce dire que l’appareil lui est rendu agréablement par Ahmed Sylla, un avocat noir en réussite dans le cabinet de Henri, interprété par Louis-Do de Lencquesaing.

Le journal Entrée Libre s’est rendu en France, par le biais du téléphone, pour parler longuement avec le réalisateur et scénariste Julien Rambaldi :

Souley Keïta : Premières images, première question. On commence par ce ciel bleu, une musique paisible pour tomber dans un autre monde sous un pont. Est-ce qu’il faut comme à la fin du film se rajouter des nuages pour comprendre certaines réalités et l’entièreté des êtres qui peuplent la France ?

Julien Rambaldi : Il est vrai que le premier plan est ce ciel bleu qui me permettait en quelque sorte de faire une référence à l’univers et l’esprit de Frank Capra en racontant ce personnage qu’est Angèle. C’est un personnage certes réaliste, mais c’est tout de même un personnage de cinéma. Cette femme ne vient pas du microcosme qu’elle va rencontrer dans le film et pour ma part il y avait cette symbolique de dire que c’est un ange qui vient chambouler, éclairer ce square d’Anvers et ces femmes à Paris. Il y a l’idée de réveiller un peu les consciences. Concernant la conclusion, avec quelque part l’élévation qui est l’opposé du premier plan, je voyais en cela une note d’espoir. Je pense que les personnages vont apprendre beaucoup de choses en côtoyant Angèle. Il y a le vivre ensemble qui est essentiel en transmettant des valeurs dont on n’a pas forcément conscience. À Paris, il n’y a pas forcément la curiosité de poser son regard sur ces femmes ou ces gens d’ailleurs qui viennent travailler en France.

Souley Keïta : Là où il y a des injustices, il y a des êtres humains. La première fois que l’on voit Wassia, vous l’enfermez avec le langage cinématographique dans une prison avec les cages de l’escalier. Est-ce que les femmes du square, ce sont des femmes qui sont condamnées dans leur statut social, leur condition en tant qu’immigrées et qu’il y a trop de gens qui profitent de cela?

Julien Rambaldi : Pour moi, ce sont des combattantes. Elles viennent de pays lointains pour travailler en France en essayant d’améliorer leur condition, mais également pour améliorer la condition de leur famille qui est restée au pays. Elles ont un objectif assez clair, c’est en cela que je trouve que ce sont des femmes qui sont dignes. Elles peuvent être perçues par beaucoup de gens et dans le fond, je préfère les voir comme des combattantes. Ce qui est compliqué, c’est le système que l’on met en place pour les accueillir et elles se retrouvent finalement avec pas mal de bâtons dans les roues alors que ce sont des femmes dont on a foncièrement besoin. En France, dans les grandes ou moyennes villes, les services publics sont complètement dépassés, donc elles ont une fonction essentielle à la société et le film essaye de le montrer, tant dans ce rôle qu’elles ont d’éduquer, de transmettre à ces enfants.

Le film montre la réalité de l’abus également et il y en a pas mal, car le système est ainsi. Ces femmes ne sont pas forcément informées des droits dont elles bénéficient. Ce qui est assez compliqué aussi, c’est le fait de voir que l’employeur devient un patron et qu’il n’a pas été préparé à être patron dans son quotidien ou dans son domicile. Il manque un encadrement et il y a la position dominante de l’employeur, de l’Occident, versus ces femmes qui sont bien souvent en survie et dans des conditions très précaires. Rarement, la justice est bien équilibrée.

Souley Keïta : Angèle est ce personnage qui ne cesse de sortir des cases, est-ce qu’à travers ce personnage il y a une nécessité de faire en sorte que le film brise les rouages dans un monde où l’on s’installe trop confortablement dans nos préjugés et les cases qui nous enferment?

Julien Rambaldi : Je trouve que sous sa carapace, il y a une femme qui ne se laisse pas faire et elle n’hésite pas à avoir la parole libre. Je pense que c’est ce que l’on aimerait tous avoir parfois dans nos vies. Il y a plein de fois dans ma vie où je me suis pourquoi je ne suis pas intervenu à ce moment-là ou pourquoi j’ai laissé cette personne me parler ainsi et que j’aurais dû réagir. Pour Angèle, c’est immédiat, c’est une boxeuse, car on lui donne un coup et elle le renvoie. Je trouve cela assez jubilatoire dans la comédie du film, car elle n’en laisse pas passer une seule en répondant assez rapidement. Dès qu’il y a une injustice, une idiotie ou quelque chose d’irrespectueux vis-à-vis de quelqu’un, elle le note, elle le soulève et elle le retourne.

Souley Keïta : Les deux femmes que sont Angèle et Hélène vivent un éloignement différent avec leurs enfants, la première par la distance (son fils est en Côte d’Ivoire), la deuxième a du mal à créer un lien avec son fils depuis que le divorce a été annoncé, on note également l’absence des pères, pouvez-vous nous en dire plus.

Julien Rambaldi : Très clairement, je voulais faire un portrait des femmes, des portraits de mères différentes avec Wassia, Hélène, Angèle. C’était un peu l’exposition de ces trois femmes que je voulais. Il est vrai que les hommes n’ont pas une très bonne image dans ce film, mais c’est une photographie qui est commune avec ces femmes qui se retrouvent seules à élever leur enfant, à travailler. Tout à coup, cela devient compliqué pour l’enfant Arthur qui n’a pas trop de contact avec sa mère qui n’est pas des plus chaleureuses. Elle est en dépression post-séparation. Concernant le garçon, cela m’intéressait de raconter comment il se trouve un nouveau modèle et comment il va découvrir la vie avec une femme qui n’est pas maternante en lui disant la vérité. Ce que je trouve très beau, c’est le regard de ce garçon qui change, car il s’épanouit et que cela lui fait du bien.

Il y a une scène qui symbolise très bien cette connexion entre ces deux femmes. Angèle est en train de repasser et Hélène revient de la cour de justice après l’annonce de son divorce. Ce que je trouve très beau dans cette scène, c’était de montrer deux femmes issues de deux milieux sociaux complètement opposés, mais toutes les deux sont en souffrance et éloignées de leur condition de mère. Hélène est prisonnière de ce monde construit par les hommes avec une organisation masculine dans lequel elle se fait avaler. Angèle a laissé son fils dans un autre pays pour améliorer sa condition et le faire venir. Il y a ce parallèle qui se retrouve dans cet appartement et que je trouvais cela intéressant de confronter ces deux femmes. 


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