Qu’arriverait-il si…
on arrêtait de nous montrer des glaciers qui fondent?

Date : 7 juin 2023
| Chroniqueur.es : Alexis Legault
Catégories :
OURS-POLAIRE

Éviter un réchauffement de 1,5 degré Celsius et surtout demeurer sous la barre des 2 degrés; la disparition de 70% des oiseaux de mer; le pH des eaux qui passe de 8,15 à 8,05; un millier de nouvelles espèces menacées d’extinction; et surtout, d’immenses blocs de glace qui fondent à des milliers de kilomètres de chez vous.

Nous avons tous déjà vu circuler les images d’un glacier qui fond, se détache et se fracasse à la surface de l’eau, entrant dans l’océan pour ne jamais en ressortir. Ce visuel peut être aussi poétique et percutant qu’on le voudra sur le plan théorique ou artistique, mais il ne convaincra malheureusement que les convertis, laissant de marbre ceux qui n’ont pas encore décidé d’affronter la gravité de la situation.

Les images sont probablement plus frappantes que les statistiques pour le cerveau humain, plus tangibles, plus palpables. Le corps inanimé d’un enfant, vêtu d’un t-shirt rouge, échoué sur une plage, soulève bien davantage les passions que le rapport annuel d’un organisme international sur l’accroissement du nombre de décès de personnes migrantes en mer.

Toutefois, pour simplifier – espérons que ce n’est pas à l’excès – l’humain est principalement solidaire et empathique sur de courtes distances et pour des individus qui lui ressemblent. Comment s’en faire pour le déclin des animaux marins, pour des pieuvres aux facultés cognitives déconcertantes, mais dont l’apparence nous semble pratiquement extraterrestre? Comment ressentir l’urgence de la guerre et de la famine qui s’abattent sur les humains vivant dans ces pays si lointains?

L’humain a évolué pour se soucier de son environnement immédiat bien plus que pour s’inquiéter de périls lointains et abstraits. On se préoccupe avant tout de nos amis et de notre famille, de nos proches et de ce qu’on connait bien. C’est une stratégie qui a certainement contribué, dans le passé, à la survie de notre espèce, mais qui pourrait bien causer notre perte aujourd’hui. Pas de chance, la crise climatique et le déclin de la biodiversité semblent malheureusement trop nébuleux pour en ressentir l’ampleur, même lorsqu’on les comprend d’un point de vue théorique.

Je me permets de bifurquer ici vers des enjeux d’ampleur plus modeste qui relèvent certainement davantage de l’anecdotique, mais qui permettent d’ouvrir à une réflexion. Au cours des dernières années, j’ai rencontré plusieurs personnes qui ont commencé à s’impliquer pour la protection de l’environnement, parce qu’elles ont constaté que leurs enfants subiraient les conséquences de la crise environnementale. Je connais aussi beaucoup de gens qui ont été pris au cœur par la destruction annoncée du boisé de leur enfance ou d’un parc dans leur quartier. Certains n’ont jamais cessé de s’impliquer dans la protection du territoire depuis, et ce bien souvent pour sauver des milieux naturels qu’ils ne fréquenteraient probablement jamais. Entre-temps des liens se sont formés entre des citoyens. C’est en ce lieu que réside pour moi un grand espoir, dans cette empathie pour le près de soi qui mène à agir plus largement et avec d’autres.

En ce sens, je m’interroge sur le mal que certains perçoivent dans une aventure d’engagement citoyen qui débute par un «pas dans ma cour». Il faut reconnaître les limites de notre condition humaine, de notre vue courte et sélective. Mais cette empathie que l’on a développée pour les êtres vivants et pour les choses qui nous entourent est une chose précieuse sur laquelle s’enracine notre humanité, et qui pourra potentiellement repousser le dernier acte.

La petite poussée qu’il nous faut pour nous lancer à l’eau, l’élan nécessaire pour nous mettre en marche, ils ne viendront peut-être pas de la raison, de la dernière statistique alarmante diffusée (avec raison) dans les médias. C’est par le cœur et l’empathie que se sont engouffrés dans l’univers militant la plupart de ceux que je connais. Cela n’empêche en rien de tout faire pour agir de la manière la plus objective et globale possible ensuite, une fois en route. Maintenant, il faut probablement interroger la manière dont on présente ces enjeux et trouver un équilibre entre ce qui se trouve près de nous sans perdre de vue le portrait global.

Permettez-moi d’emprunter les mots d’un autre pour conclure. Le philosophe Antonio Gramsci a écrit à son frère, de sa cellule de prison : « Je suis pessimiste par l’intelligence, mais optimiste par la volonté. » Il peut être avisé de miser sur la volonté lors des moments qui précèdent le jaillissement de la lumière à l’horizon.

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