La lutte démocratique

Date : 16 décembre 2018
| Chroniqueur.es : William Champigny-Fortier
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Que ce soit chez les Democratic Socialists of America, chez La France Insoumise, chez les indépendantistes en Catalogne ou même ici avec Québec solidaire, la gauche parlementaire fait une place de plus en plus grande aux enjeux de réformes démocratiques en proposant de nouvelles institutions. Au Québec, il suffit de penser à la réforme du mode de scrutin, mais aussi et surtout à l’Assemblée Constituante qui est proposée par QS comme voie d’accession à l’indépendance et qui était au cœur du Congrès de fusion avec Option nationale en 2017.

Est-ce un hasard si la gauche se mobilise autant pour des enjeux démocratiques? Les dernières décennies ont été marquées par le développement d’un capitalisme de plus en plus autoritaire et laissant toujours moins de place aux droits et aux libertés fondamentales qui sont l’oxygène de la démocratie. Qu’on pense au Patriot Act, aux lois anticonstitutionnelles utilisées pour mater les manifestations et les organisations militantes ou à la brutalité de la police envers le peuple de Catalogne qui ne souhaitait que voter, un glissement vers l’autoritarisme est observable un peu partout. La croissance des inégalités est allée de pair avec le développement d’un appareil de plus en plus répressif pour maintenir en place une société injuste et déséquilibrée.

Or, le socialisme a ceci de commun avec toutes les luttes démocratiques qu’il critique des valeurs importantes pour les classes dirigeantes de tous les pays: l’élitisme, la tradition et l’autorité. La démocratie est née dans la turbulence et dans le désir de changer le monde, de soumettre son avenir au peuple plutôt qu’aux décisions d’une minorité gouvernant selon des principes surannés issus de traditions. L’idée même d’un gouvernement par le peuple et pour le peuple a quelque chose d’éminemment révolutionnaire et c’est pourquoi tant de bémols lui sont opposés. Parmi ces bémols, le plus efficace est l’idée que la démocratie serait uniquement élective et consultative dans le cas des référendums.

C’est qu’il existe une tension entre un capitalisme de plus en plus autoritaire et les revendications démocratiques. Il est bien normal que dans une société aussi inégalitaire les institutions démocratiques soient autant attaquées. Historiquement, les classes dominantes ont toujours eu un rapport ambigu face à celles-ci. Autant elles ont pu en tirer profit pour mettre à terre les anciennes institutions féodales et donner un visage humain à leur système d’exploitation, autant elles doivent se méfier de l’utilisation potentielle de la démocratie par ceux et celles sur qui la domination pèse. Après tout, la majorité ne profite pas de ce système et de son fonctionnement.

Bien sûr, il serait naïf de croire que les institutions actuelles n’ont pas été modelées et stérilisées par les classes dirigeantes. Le 1er octobre 2022, Québec solidaire aurait beau prendre le pouvoir, sa plateforme et son programme resteraient largement inapplicables à cause du gouvernement fédéral et du capitalisme. C’est la même situation partout ailleurs en ce qui concerne le second élément. Les leviers du pouvoir ne sont pas que dans l’État, ils sont aussi et surtout dans les mains d’institutions antidémocratiques: banques, multinationales et tribunaux chargés de faire respecter des traités de libre-échange pour n’en nommer que trois. Prendre le pouvoir pour transformer le monde, éviter la crise environnementale et mettre fin aux inégalités indécentes pose la question de la lutte contre ces institutions qui peuvent mettre des États à genoux.

Le combat inachevé pour la démocratie mené par la gauche doit avoir pour horizon d’entraîner le peuple à exercer son pouvoir au sein des institutions existantes dans un premier temps. Il s’agit ensuite de développer la lutte afin de créer des institutions nouvelles. Finalement, la lutte doit culminer en devenant un combat contre les institutions qui limitent l’extension de la démocratie elle-même. La démocratie est une lutte progressive qui ne se termine pas avec l’obtention d’une réforme du mode de scrutin ou d’une Assemblée constituante. Elle doit constamment révéler de nouvelles étapes en vue d’une plus grande conquête du pouvoir par et pour le peuple et surtout, ce combat même constitue le lieu où le peuple peut s’entraîner à gouverner et à affiner ses capacités. En d’autres mots, la démocratie ne doit jamais se fermer sur elle-même, elle doit demeurer un mouvement vivant et surtout, un mouvement qui se réalise en attaquant tout ce qui s’érige comme une limite face au pouvoir du peuple.

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