MARIA CHAPDELAINE (1/2)

Date : 23 septembre 2021
| Chroniqueur.es : Souley Keïta
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Un regard sans trop divulgâcher.

Elle était tant attendue, cette croisée des chemins avec un des films les plus attendus.

En tant qu’amoureux du 7e art, je crois qu’il y a des films que nous ne voulons pas quitter. 

Des œuvres pour lesquelles nous voulons vivre plus, sans connaître le déchirement d’un au revoir.

À travers ces œuvres, nous créons et nous croyons à un lien indéfectible qui va au-delà du temps restreint accordé dans une salle obscure. 

Une aventure délicieuse et unique au cœur de l’humain, fidèle à l’identité cinématographique québécoise. C’est ainsi que l’on pourrait décrire le quatrième long métrage de Sébastien Pilote (Le vendeur, Le démantèlement, La disparition des lucioles.) Maria Chapdelaine en est à sa quatrième adaptation et justement elle est incomparable.

À proximité du Péribonka, Maria Chapdelaine, 17 ans et sa famille, vivent le quotidien de travailleur du bois, en repoussant les limites de la forêt. Arrive un choix important dans la vie de la jeune fille qui devient une adulte : choisir sa vie, choisir parmi ses prétendants. 

Dans ses silences, Maria tisse sa destinée comme elle l’entend, sans faire de vagues, pourtant tout porte à croire qu’elle ne contrôle rien. Maria Chapdelaine, portée à merveille par Sara Montpetit, est avant tout la possibilité de choisir sa route sans être dirigé par autrui. Nous n’oublierons pas bien évidemment les performances de Sébastien Ricard, Hélène Florent, Antoine Olivier Pilon, Émile Schneider, Robert Naylor, Martin Dubreuil, Danny Gilmore, Gabriel Arcand ou Gilbert Sicotte.

Un film pour lequel on peut applaudir la photographie (Michel La Veaux), la direction artistique (Jean Babin) et la musique (Philippe Brault), mais ce n’est pas que cela un film, la dernière œuvre du réalisateur du Saguenay nous le montre une fois de plus. La symbiose entre la technique et les émotions est toujours présente. Bravo!

Entrée Libre a eu une discussion très enrichissante avec Sébastien Pilote, scénariste et réalisateur du film, qui nous en dit plus sur Maria Chapdelaine

Souley Keïta : Première question, premier plan de ton film. Ce premier plan est surprenant en commençant notamment par François Paradis. Est-ce que l’on peut supposer que la liberté de Maria Chapdelaine ne peut être liée qu’aux autres ?

Sébastien Pilote : Non, ce n’est pas pour cela. Ce que je voulais montrer au début avec les trois premiers plans, un jeune homme, une jeune femme et le prêtre, c’est cette supposition qu’il peut s’agir d’un mariage alors qu’en réalité, il s’agit de l’Ite missa est, la fameuse et dernière phrase du prêtre qui signifie « la messe est dite. »

Cette phrase est devenue par extension alea jacta est (les dés sont jetés) et il n’y a plus rien à faire. Une phrase empreinte à une fatalité chez les gens qui ne parlaient plus le latin à cette époque et qui le comprenaient comme « la messe est finie » alors que sa signification est tout autre et serait plus « allez en mission ». Par contre, la fatalité est beaucoup liée à François Paradis, sa liberté n’est pas acquise et il va connaître un chemin différent. Ces trois images résument tout le film pour moi.

Souley Keïta : À travers le film, il est question de région, mais aussi d’une fierté qui s’en dégage, pourtant dans un huis clos plus grand que nature, on ressent l’atmosphère d’un lieu qui devient une prison pour Maria, mais également pour les femmes de cette époque, est-ce que l’on peut le voir ainsi?

Sébastien Pilote : Je ne suis pas d’accord pour Maria. L’hiver enferme, c’est un enfer qui cloisonne les gens qui sont obligés d’hiberner, de se protéger, de survivre, mais lorsque vient l’été, on est complètement libéré. Évidemment, il y a tout le cercle sombre de la forêt, la forêt est le méchant dans le film, car elle n’est pas naturelle. Ce lieu est plutôt symbolique et sa lisière représente le diable, car elle divise les amoureux et les sépare. Elle sépare également les Chapdelaine de la communauté. La maison, quant à elle, a une force gravitationnelle, car les personnages sont toujours ramenés à l’intérieur. Oui, c’est un huis clos où l’on parle de Maria, mais c’est toute la famille qui est par extension le personnage principal du film et pour moi, elle n’est pas enfermée. Cela peut paraître ambigu, car on peut avoir le sentiment qu’elle ne décide pas de son sort, mais ce qu’elle souhaite c’était de rester et d’être fidèle à soi-même. Elle décide de sa liberté en refusant Lorenzo, car dans ce monde, Maria serait devenue une femme au foyer qui ne travaille plus et cela ce n’est pas du tout un gage de liberté. Dans le monde paysan traditionnel, les femmes travaillent plus fortes que les hommes. La vie de Maria n’est jamais figée et évolue. Le roman comme le film sont des œuvres de métamorphoses où les personnages sont et deviennent autres à la fin.

Souley Keïta : J’aimerais revenir sur un élément important du film : sa structure. En voyant cette fresque, qui se compose en cinq chapitres, il y a une volonté de faire sentir au spectateur qu’avec ton film, on ne lira plus le livre, mais on le verra. Était-ce important de signifier une certaine fidélité à ce roman qui a marqué tant de gens? 

Sébastien Pilote : Oui! Je me suis aperçu lorsque j’avais relu le livre et que j’avais cette envie de l’adapter à nouveau, je trouvais que tout le monde était passé à côté de la grande simplicité du roman. On avait toujours bifurqué vers quelque chose où on exacerbait l’histoire d’amour avec François Paradis alors que c’est tout de même la situation initiale. C’est l’être inaccessible, le prince charmant aux yeux de Maria, l’amoureux de cette petite fille. Dans le fond, ce que l’on va voir c’est l’histoire d’une petite fille qui devient, en un an, une femme. La véritable décision que prend Maria Chapdelaine, de manière très libre selon moi, c’est partir ou rester. Toute la notion de liberté ou de devoir au niveau de la philosophie, met simplement en lumière des notions qui sont proches l’une de l’autre. Je pense que cela prend quelqu’un d’absolument libre pour faire son devoir, car le devoir c’est la contrainte de l’intérieur. En voulant être fidèle au roman, on s’aperçoit que Maria est un personnage silencieux comme l’était ma grand-mère. Il y a beaucoup de personnages autour de Maria qui parlent plus qu’elle, mais qui disent moins et pour moi elle devait dire des choses autrement que par le dialogue.

Souley Keïta : Alors que Monsieur Duvivier perdait la mémoire sur son héritage cinématographique, l’adaptation au cinéma de Maria Chapdelaine laisse une trace mémorable dans la culture québécoise. Je voudrais que l’on s’attarde sur l’œuvre, comment s’empare-t-on du récit? Qu’est-ce qui t’a effrayé, mais également transcendé à travers ce projet ? 

Sébastien Pilote : Louis Hémon a écrit un roman après son périple de six mois au Lac-Saint-Jean en étant fasciné par les gens qui y vivaient. Nous avons tendance à l’oublier, mais ce que Louis Hémon a fait, ce sont des portraits et non pas des modèles. Le clergé et le mouvement conservateur nationaliste ont pris ces portraits pour en faire des modèles, en disant que c’est ainsi que les gens doivent agir. Cette tendance revient souvent dans les films américains où l’on montre souvent des modèles de gens bons ou de gens mauvais. Pourtant lorsque l’on fait une œuvre d’art nous peignons des portraits, car dans la vie un portrait correspond à du bon et du mauvais. En reprenant cette œuvre, je voulais me débarrasser de cette idéologie. Évidemment pas pour en créer une nouvelle qui serait plus à la mode, car avant tout je voulais garder le portrait de l’époque. Ce qui me plaît dans ce récit, c’est que cela correspond au portrait de ma mère, mais également de ma grand-mère. Ma mère venait d’une famille où il était douze enfants, elle a dû arrêter l’école très jeune pour s’occuper de ces frères et sœurs. Elle vient d’une famille très pauvre qui vivait très loin du village, sans électricité ni eau courante et avec seulement deux débarbouillettes pour nettoyer toute la famille. 

Cette femme-là, ma mère, est une personne extraordinaire, c’est elle qui parle au travers de Maria lorsqu’elle dit qu’elle aurait aimé être maîtresse d’école, mais que ses parents avaient besoin d’elle à la maison, Lorenzo lui dit que ses parents n’auraient jamais dû lui demander cela, ce à quoi lui rétorque Maria en disant que ses parents ne lui ont jamais rien demandé. Elle a simplement le sens du devoir comme ma mère, ma grand-mère ou mon père aussi. Mon père, qui travaillait dans la construction, s’est beaucoup usé physiquement et s’est éloigné de la famille pour rapporter un peu d’argent que ce soit dans le nord du Canada ou en Algérie lorsqu’il n’y avait plus de travail ici. Ma mère quant à elle était couturière dans son sous-sol et faisait des bas de culotte à 5$. Ils ont réussi à payer mon cégep et mon université, donc Maria est un peu une lettre d’amour à ces personnes, à ces grands-mères qui ont habité le Lac-Saint-Jean. 

Une belle lettre d’amour à travers un voyage dans le temps qui se déposera dans les salles obscures de La Maison du Cinéma et comblera sans doute les attentes des amoureux de Maria.

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