Chroniques d’un quartier gentrifié

Date : 2 mai 2022
| Chroniqueur.es : Léo Boivin
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Le quartier Alexandre au centre-ville a été le sujet de plusieurs discussions dans la sphère publique concernant son aménagement futur. Certains en appellent au remodelage complet, d’autres à la « mixité sociale » ou encore à l’amélioration démocratique et participative du quartier.

Le quartier Alexandre émane d’une ville qui était, il y a plus de 50 ans, d’abord une ville industrielle, avec des usines de transformation et de fabrication. Ceci attira une strate sociale particulière en son sein. La transformation économique et sociale qui commença dans les années 70 et 80 avec la récession de l’époque et les débuts de la mondialisation et des accords de « libre » échange sonna le glas de la production industrielle indépendante dans les pays « développés » et dans les villes comme Sherbrooke. Le sort de notre ville n’est pas singulier au Québec. C’est un cas partagé avec Rimouski, Saguenay, Gaspé et bien d’autres centres régionaux.

Avec la disparition des secteurs primaires et secondaires au Québec, ces villes se sont alors complètement centrées autour du secteur tertiaire. Les strates sociales qui avaient été amenées pour participer à la production industrielle sont maintenant exclues du mode de production ainsi modifié. Et une nouvelle strate sociale, souvent plus affluente à cause de conditions de travail supérieures en raison d’un taux de diplomation généralement plus élevé s’installa dans la ville.

L’effacement de cet historique dans notre ville n’est pas la cause de la gentrification, mais plutôt sa conséquence.

La gentrification semble alors inévitable dans un contexte où la majeure partie – si ce n’est pas l’ensemble – de la production industrielle de notre pays est accomplie à l’étranger. Mais ce n’est pas nécessairement vrai. La gentrification se produit dans les anciens quartiers d’ouvrier.ère.s industriel.le.s dans lesquels arrivent des professionnel.le.s diplômé.e.s du secteur tertiaire (des services) lorsque le marché locatif et immobilier est contrôlé par une classe à part qui régule les loyers selon ses propres intérêts. L’augmentation des loyers cause et perpétue ce changement social. La misère qui augmente parmi les strates en disparition est alors prétexte pour davantage de projets de « revitalisation » qui ne sont en fait que des invitatoires à la gentrification.

Il est possible que des aménagements urbains, des rénovations de logements ou des constructions d’immeubles locatifs ne mènent pas à la gentrification. Pour cela, il faut que des loyers accessibles à tous les moyens soient offerts. Et l’on ne peut pas vraiment se fier au privé pour fournir cela. Même les soi-disant programmes de « logements abordables » permettent au privé d’obtenir des subventions en offrant des loyers de plus de 2000 $ comme c’est le cas à Montréal. Ce qu’il faut, c’est du logement social (HLM, OSBL et coop).

C’est dans un contexte où il y a davantage de militantisme dans la population et de solidarité entre les strates sociales de la même classe (la classe locatrice et ouvrière) que les gouvernements sortent les lunettes roses et les programmes inefficients, et que les propriétaires sortent avec les gros canons pour éliminer la critique. Un tel cas se voit avec l’abolition d’Accès Logis, la complaisance des gouvernements municipaux à travers le Québec quant à la construction de nouvelles unités de logement social, et la récente vidéo inflammatoire de Nikolai Ray, cette dernière insultant à tour de bras le quartier et ses habitant.e.s.

Mais outre l’aversion pour le système locatif actuel, il doit se produire quelque chose de plus. Il n’est pas suffisant de seulement exprimer une simple négation du système, un singulier dégout pour celui-ci. Il faut élaborer une critique capable de proposer et de mener à bien un système nouveau : du logement pour les gens, pas pour les profits.

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