À boire et à manger : Histoires noires

Date : 27 janvier 2019
| Chroniqueur.es : Sylvain Vigier
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Un enfant du pays
Richard Wright, 1940

Pour le mâle blanc occidental, la lecture de ce livre peut faire l’effet d’une épreuve initiatique de l’expérience de la minorité. Suivre la trajectoire funeste de Bigger Thomas, c’est réaliser dans sa chair que même si l’individu est libre, les contingences sociales peuvent vous clouer sur des rails dont il est presque impossible de se défaire sans dérailler. Le bouillonnement de l’envie de vivre et d’échapper à la classe sociale et raciale où il est enfermé de toute éternité fera dérailler Bigger. Et pour le mâle blanc, c’est l’expérience de l’inéluctable:  quoi qu’on dise pour sa défense, les faits criants et avérés du crime plaident contre lui. L’avocat de Bigger tentera de convaincre le tribunal que son acte criminel est la conséquence logique d’un système dans lequel les Noirs sont enfermés aux États-Unis. L’auteur Richard Wright nous fait ressentir subtilement et patiemment le poids des barreaux de cette cage invisible, mais pourtant bien réelle. Ce n’est pas par compassion et sentimentalisme que l’empathie se crée pour le personnage, mais par la prise de conscience du système de classe sociale dans lequel la ségrégation raciale nous enferme tous.

J’irai cracher sur vos tombes
Boris Vian, 1946

La poésie des romans de Boris Vian disparaît sous la plume de son double américain Vernon Sullivan, pour faire place à la vérité crue et brutale d’une Amérique qui fait rêver l’auteur sans qu’il ne la fantasme vraiment. Grand amateur de roman noir américain et de musique jazz, Vian/Sullivan nous raconte l’histoire d’une vengeance qui est aussi celle d’une revanche. Lee Anderson s’installe dans une ville quelconque du sud-est des États-Unis et devient un membre de la bande de jeunes bourgeois locaux influents. Cependant, Dexter, petit chef de bande brutal et arrogant, ne peut s’empêcher d’être tout à la fois fasciné et suspicieux envers le comportement et les mimiques physiques de Lee. Plus Lee sympathise avec la bande et en devient un membre incontesté et influant, plus l’idée que Lee puisse être finalement un Noir albinos ou alors mulâtre se distille. Le magnétisme physique de Lee attire à lui les jeunes filles, et c’est avec des scènes de sexe écrites de manière extrêmement directe et provocatrice pour l’époque qu’il prendra sa revanche sur une Amérique blanche, bourgeoise et raciste. À la fin, il restera un air de blues et de sang.

Nègres blancs d’Amérique
Pierre Vallières, 1968

Ce livre est un cri, qui décrit en termes concrets la situation socio-économique inférieure des Canadiens français et le bouillonnement politique de la fin des années 60. Après une grève de la faim de quelques heures sur le perron des Nations Unies à New York, l’auteur Pierre Vallières est arrêté et détenu à la «Manhattan House of Detention». C’est debout, sur la banquette supérieure du lit à étage de sa cellule et au milieu des Afro-Américains, représentants majoritaires des détenus de cette prison d’État, que l’auteur va publier ce manifeste. Racontant son histoire à travers celle de son père, il décrit un quotidien de misère et d’exploitation des Canadiens français au profit du capitalisme nord-américain. C’est la précision et la sincérité de cette description sociale qui fera de ce livre un succès, car de nombreux Canadiens français s’y reconnaîtront. Mais pour ce futur membre de FLQ, cette critique sociale doit être également un manifeste politique pour une «révolution socialiste et indépendantiste». Être Noir ou Canayen, même combat? Le succès du livre à sa sortie et la place qu’il occupe dans la littérature québécoise suggèrent que oui.

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