Chronique d’une grosse féministe

Date : 17 janvier 2017
| Chroniqueur.es : Anonyme
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Ça fait longtemps que je pense à écrire ce texte, mais une p’tite voix me dit de rester silencieuse. P’t’être à cause des centaines d’insultes que j’ai reçues dans ma vie, p’t’être à cause des préjugés, du jugement des autres et de mon propre regard sur mon propre corps.

Je me présente: je suis grosse. Pas avec un peu de bourrelets, pas «enrobée», pas avec un peu d’embonpoint: grosse, ou plutôt obèse, selon la médecine qui se dit moderne. Vous êtes mal à l’aise? Tant mieux.

Pourquoi l’êtes-vous? Parce que j’écris sur ma grosseur ou parce que le mot «gros/grosse» est associé automatiquement à la lâcheté, la laideur, le dégoût, le manque de contrôle? Parce que traiter quelqu’un.e de gros ou de grosse [insérer une insulte] multiplie l’intensité de ladite insulte? Parce que le poids d’une personne est tellement tabou que tout l’monde se ferme les yeux volontairement quand on en parle?

Considérée comme un fléau, l’obésité est l’ennemie à abattre. Le terme est utilisé à toutes les sauces, généralement associé à des qualificatifs comme «morbide», sans nécessairement savoir de quoi il est exactement question, ni prendre en compte que derrière des étiquettes, il y a des personnes bien réelles. Morbide: qui relève de la maladie, la caractérise ou en résulte; qui a un caractère malsain, anormal. Dans les synonymes de morbide, on retrouve aléatoirement les mots suivants: malsain, insalubre, anormal, contagieux, impur, immoral… allô l’estime de soi.

Le lien entre les représentations sexistes, irréelles et souvent violentes des femmes dans l’espace public vs avoir une estime de soi de marde, même s’il existe sournoisement pour chacun.e de nous, ne sera pas abordé ici. Parlons plutôt de grossophobie, un concept relié à la peur, le rejet ainsi qu’aux moqueries et aux discriminations envers les personnes considérées comme grosses.

C’est la société qui te renvoie à coup de claques la honte, la culpabilité et la responsabilité de ton corps, de ce que tu vis, de ce que tu es. Ce sont les magasins «spécialisés» qui s’enrichissent sur ton dos en offrant des vêtements découpés dans des draps fleuris au double du prix régulier, ceux qui collent l’étiquette XXL à des vêtements plutôt M qui te font pleurer dans une cabine d’essayage. Ce sont les gens qui te dévisagent quand tu manges du chocolat, ceux qui te crient des insultes quand tu marches sur le trottoir, celles et ceux qui te complimentent dès que tu perds un peu de poids, sans penser que c’est peut-être involontaire, dû à une dépression, à un trouble alimentaire… c’est dont beau une grosse qui se prend en main! (sic)

N’a-t-on pas entendu Jeff Fillion plus tôt cette année dire que les femmes autochtones de Val-d’Or n’auraient pas pu être agressées sexuellement puisqu’elles étaient laides? Pis quoi encore.

Malgré les campagnes d’images positives, d’amour de soi et autres thématiques populaires qui nous rabâchent les oreilles avec leurs idées zen et leur bien-être à outrance, on finit par croire qu’on n’a qu’à courir dans un champ en souriant de toutes nos dents et en chantant l’amour de notre corps tel qu’il est pour que tout soit réglé. Que c’est dans notre tête. Que c’est notre problème à nous, individuellement parlant. Que la relation amour/haine qu’on entretient avec nos corps depuis notre enfance n’existe pas, qu’il ne suffit que de «prendre soin de soi» pour régler nos lunettes comme il faut. Et quand nos ami.e.s ou partenaires nous disent «ben non voyons, t’es pas grosse, t’es juste ronde/enrobée» ou pire, «belle quand même», illes nous renvoient la même image déformée et nous garrochent des poignées de honte et de dégoût envers nous-mêmes sans le savoir.

Autant que le sexisme ordinaire nous pourrit la vie, la grossophobie ordinaire ne fait qu’en rajouter une couche. Et même si je suis généralement à l’aise dans ce corps que je n’aime pourtant pas vraiment, que je revendique quotidiennement plus d’égalité et plus de droits pour les femmes, avec les autres et entre elles-mêmes, je suis quand même tristement incapable de signer ce texte.

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