Demos, la voi·e/x du peuple

Date : 23 juillet 2015
| Chroniqueur.es : Sylvain Vigier
Catégories :

La danse de l’été 2015 est sans conteste le sirtaki. C’est une danse de groupe, et ils sont quatre: le Fond monétaire international, la Banque centrale européenne, la Commission européenne et la Grèce qui est l’hôte malheureuse des trois premiers. Son succès tient dans son rythme: paiera/paiera pas (ses dettes), sortira/sortira pas (de la zone euro). Pourquoi un évènement aride et complexe comme la crise financière grecque peut-il nous tenir en haleine? Peut-être parce que nous ressentons tous au fond de nous que ce qui se joue en Grèce nous concerne quelque part, en particulier depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition de la gauche radicale Syriza.

Histoire de tomber les masques d’entrée, l’auteur du texte ne prétend pas avoir compris tous les tenants et aboutissants de la crise de la dette grecque. L’histoire qui se joue ici se fait à base de milliards d’euros (la dette avoisine les 300 milliards!!!), d’experts financiers, de banques privées, de dirigeants internationaux et de commissions plutôt obscures. Ce qui nous intéresse dans cette histoire, ce sont les rouages politiques et médiatiques qui se sont mis en marche depuis l’élection d’Alexis Tsipras comme Premier ministre du gouvernement grec.

Tsipras est à la tête d’une coalition large de «partis de gauche» (Syriza) qui se distingue du PASOK, le parti socialiste grec qui était au pouvoir en 2008-2010 au début de la crise. Pour imager un peu mieux, Syriza est un équivalent de Québec solidaire, et le PASOK tient la ligne sociale libérale du Parti québécois. Là où le PASOK a dit oui à toutes les exigences des débiteurs de la Grèce (la fameuse Troika, soit nos trois danseurs évoqués plus haut) depuis 2008, Tsipras souhaite l’arrêt des politiques de réduction budgétaire (ramener le salaire minimum de 550 à 750 euros et augmenter le minimum des pensions de retraites), garantir la gratuité des soins, arrêter la privatisation des sociétés et biens nationaux (en particulier le port du Pirée, et la télé publique).

Bref, ni plus ni moins que des mesures sociales de base, dont le but est de stopper la spirale austéritaire dans laquelle son pays a été plongé depuis 2008 et de redonner une certaine dignité au peuple grec en reprenant la main sur la conduite de leur pays.

Ingérence politique

Cette vision de la gestion du pays selon Syriza s’oppose frontalement à celle que les états créanciers européens estiment être la bonne, et la seule. Tout au long de la campagne législative, de nombreuses voix de responsables politiques et gouvernementaux de pays de l’Union européenne se sont fait entendre pour prédire à la Grèce les pires catastrophes si Syriza était porté au pouvoir. Il s’agissait là bel et bien d’une ingérence politique directe, de pays soi-disant partenaires qui faisaient pression sur le vote pour voir gagner la couleur politique qui leur convenait.

Les médias de masse ont eux aussi relayé largement l’idée d’une contagion de la crise grecque au reste des pays de l’Union en cas d’élection de Syriza (pour plus de références, voir l’article de Pierre Rimbert dans Le Monde Diplomatique de juillet 2015).

Tsipras est élu fin janvier et compte bien mettre en place son programme qui passe par une négociation sur les échéances des paiements de la dette, et non pas sur son annulation. Dix jours après l’élection, la Banque centrale européenne, organe indépendant des états de l’Union qui a en charge la politique monétaire par (entre autres) l’émission de monnaie, bloque toute demande de liquidités des banques privées grecques auprès de l’institution. Le message est clair: «nous, Banque centrale européenne, estimons de façon unilatérale et non concertées que vous, Grecs, n’avez plus accès à l’émission de monnaie de la zone euro».

Y a-t-il d’autres mots que «ingérence», «coup-de-force» ou «coup d’état» pour définir une telle action? Cet acte malveillant et orienté politiquement ne sera pas contesté par les pays membres de l’UE et peu commenté dans les médias.

Action politique

Voici donc l’ambiance dans laquelle Alexis Tsipras et le peuple grec se trouvent en juin au moment de payer leur dette au FMI (1.4 milliards). Cet épisode est passionnant car il nous rappelle que l’action politique a un sens. Que la politique est affaire de volonté et de décisions bien plus que de conjoncture. TINA, There Is No Alternative, est un mensonge que nous avons tous fini par gober.

Acte I, Tsipras dit au FMI: «ces milliards que je vous dois par tranche jusqu’en juin, finalement je vous donne tout d’un coup le 30». Stupeur et tremblement, voilà que pour la première les traites d’une dette de la Grèce ne sont pas honorées. Les marchés tanguent mais tiennent bon, on leur a promis la carotte à la fin du mois.

Acte II, Tsipras rencontre les pays membres de l’union (Merkel, Hollande, Renzi), et leur demande une rallonge budgétaire pour payer le FMI puis de pouvoir négocier les échéances de la dette. Tout le monde tergiverse, l’horloge tourne et l’on se rapproche du 30 juin fatidique. L’UE accepte, mais à des conditions allant à l’opposé de la politique souhaitée par Syriza (privatisation, réduction des pensions et augmentation de l’âge de la retraite).

Acte III, Tsipras répond à l’UE «vous savez que vos conditions sont inacceptables pour ma politique, mais je vais demander à mon peuple si lui les accepte, auquel cas je partirai. Mais d’ici là, je ne peux pas payer».

Voilà qu’enfin il se passe un acte politique assumé en Grèce depuis 2008 et le début de la crise! Le 30 juin à minuit, la dette au FMI n’est pas payée, une première pour un pays européen. Les plaies d’Égypte ne s’abattent pourtant pas sur la Grèce et Mme Christine Lagarde part pleurer dans son coin. Le 5 juillet, le peuple grec répond majoritairement Oxi (non) à la question posée au référendum: «non amis européens, nous ne voulons pas de cette politique». Pourtant la Grèce ne se désintègre pas et fait toujours partie de l’Union européenne et de la zone euro. Le 20 juillet, une nouvelle rencontre a lieu entre les pays européens et la Grèce pour négocier un prêt de 5 milliards d’euros pour payer aux pays européens (les mêmes, oui oui!) une dette de 5 milliards arrivant à échéance. Interdit de rire s’il vous plaît, nous sommes entre gens sérieux!

La voie du peuple
La voix du peuple

L’histoire de la dette grecque est loin d’être terminée, la crise loin d’être réglée. Cependant, cette histoire livre certains enseignements essentiels pour les mouvements de gauche des autres pays.

Oui, ceux qui nous promettent des catastrophes sont des menteurs, ils ne servent que leurs propres intérêts en jouant sur les peurs. Le «Grexit», contraction de «Grèce» et de «exit» pour la sortie de la Grèce de l’Euro, dont on nous promet l’avènement inévitable n’a toujours pas eu lieu. Oui, la volonté peut suffire à mettre en place une politique, les contingences étant par définition des à-côtés. Le politique choisit ses priorités: payer la dette (à ceux qui ont assez d’argent pour en prêter) ou les retraites (à ceux qui n’ont pas de pensions privées). Oui, la question du remboursement de la dette peut être débattue: lorsque les créanciers prêtent pour être remboursés de leurs précédentes dettes, le malade n’est pas celui que l’on croit.

Notre culture et nos sociétés occidentales possèdent un héritage conséquent de la Grèce antique. Le peuple grec travaille actuellement pour lui, voire aussi pour le Monde.

Partagez :

facebook icontwitter iconfacebook icon