Déniché à l’ONF : Les histoires qu’on raconte

Date : 1 juin 2021
| Chroniqueur.es : Claude Rohrbacher
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Au gré d’errance sur le site de l’ONF (Office national du film du Canada) on fait souvent des découvertes, parfois bonnes, parfois mauvaises. Cette chronique a vocation de parler de ses découvertes. Au mieux, cela me permettra de révéler des diamants cachés, au pire, ce sera un prétexte pour parler de cinéma.

Histoire familiale

Pour commencer en beauté ce premier épisode, j’ai décidé de vous parler de « Les histoires qu’on raconte » ou « Stories we tell  » dans son titre original réalisé par Sarah Polley, réalisatrice et actrice canadienne que vous avez peut-être eu la chance de voir dans « eXistenZ » de Cronenberg. Sarah Polley s’applique ici à réaliser un documentaire sur l’histoire de sa famille, s’attardant plus particulièrement sur sa mère, Diane Polley, décédé d’un cancer. En explorant son passé familial elle va déterrer un secret qui bouleverse son identité, mais je ne serais vous en dire plus au risque de vous gâcher le récit. Sur la forme, le documentaire se dote des classiques entrevues face caméra auxquelles se superposent des reproductions d’évènements tournées à la caméra super 8 et filmées à la manière de vidéo de famille. Le procédé est bluffant, aidé à la fois par l’incroyable ressemblance des comédiens avec les personnes qu’ils interprètent et par un sens aigu du cadrage qui donne l’impression de regarder d’authentiques images d’archives. Sarah Polley maitrise son rythme narratif en appuyant correctement les moments émotionnels sans trop faire dans la surenchère.

Qu’est-ce que la vérité ?

Mais c’est sur le fond que le documentaire se démarque. Pour un documentariste, la notion du point de vue est centrale. Par quel prisme va-t-on raconter notre histoire pour y faire apparaitre la vérité ? Beaucoup se réfugient dans un statut omniscient, effaçant leur personne du documentaire, laissant l’histoire se raconter. Seuls quelques documentaristes comme Werner Herzog s’osent à s’impliquer, à être personnage, quitte à devoir marcher sur une ligne narrative risquée. Sur ce point de vue Sarah Polley bouleverse les codes : d’abord en racontant sa propre histoire, en questionnant des membres de sa famille, en laissant entendre son rire et ses réactions lors des entrevues, en demandant à son père de faire la narration. Enfin, en incluant la fabrique du documentaire au récit on se retrouve à regarder un film sur le film et c’est dans ce point que réside le cœur du métrage. Comme son titre l’indique, ce documentaire parle des histoires que l’on raconte, Sarah a décidé de raconter la sienne, mais surtout de nous expliquer pourquoi et comment elle veut la raconter. Elle explique sa démarche par une volonté de faire raconter l’histoire par celles et ceux qui l’ont vécu. Ainsi, elle laisse tout le monde donner sa version de l’histoire, laissant parfois les récits se contredire, offrant non pas une vérité, mais des vérités.

Moment de grâce

On se retrouve touché profondément par une histoire de famille pourtant si simple, comme le dit la sœur de Sarah au début du film : « Who fucking care about our family ». Pourtant dans sa simplicité le film nous rappelle que les histoires sont multiples, que chaque famille a un récit qui vaut la peine d’être entendu. On a souvent l’impression d’être le protagoniste principal de l’histoire, que les gens qui nous entourent soient des personnages secondaires ou des figurants dans le film de nos vies. ‘‘Stories we tell’’ provoque un sentiment de vertige existentiel en nous ramenant à la réalité que ces figurants ont une vie complète, et que leurs histoires sont belles ou tragiques. Pour finir, Martin Scorsese a dit un jour : « Un film est l’expression d’une vision unique – plus il est personnel, donc, et plus il s’approche du statut d’œuvre d’art. Ce qui signifie qu’il restera plus longtemps à l’épreuve du temps. » Avec « Stories we tell », Sarah Polley aurait difficilement pu réaliser une œuvre plus personnelle et je n’ai aucun mal à croire que celle-ci survivra à l’épreuve du temps.

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