Et si on changeait de paradigme ?

Date : 1 juin 2025
| Chroniqueur.es : FRAPRU
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Le logement social est sous-financé et victime de préjugés tenaces. Pourtant, loin des clichés, ce modèle a fait ses preuves ici comme ailleurs et améliore la vie de milliers de locataires. Plus qu’une alternative au marché privé, c’est la formule la plus complète et pérenne permettant d’assurer le droit au logement, de favoriser la mixité sociale et de lutter contre la précarité.

Réussir sa vie, c’est accéder à la propriété  ?

Qui n’a pas déjà rêvé de cette grande maison, au bout du chemin, derrière la petite barrière blanche  ? Si nous sommes nombreuses et nombreux à avoir porté cet idéal, c’est que l’accès à la propriété nous est imposé comme une finalité, un aboutissement. Or, derrière cette vision se cache une idéologie bien rodée qui sert avant tout les intérêts des banques, des promoteurs et des spéculateurs immobiliers, politiques à l’appui. La crise actuelle le démontre : loin de profiter ou d’être accessible à toutes et tous, le modèle de propriété immobilière accentue les inégalités économiques et sociales, en alimentant les écarts de richesse. Une minorité détentrice des biens est favorisée, au détriment des autres.

Au Québec, les logements locatifs manquent. La loi de l’offre et de la demande à l’œuvre, les promoteurs immobiliers et les propriétaires voient leurs profits exploser. À coups de rénovictions et d’augmentations abusives, ils exploitent la demande grandissante tout en profitant d’une règlementation insuffisante. Après avoir sous-financé le logement social, les gouvernements privilégient les investissements dans le logement dit « abordable », souvent inaccessible pour les locataires à faible et modeste revenus. C’est donc sans surprise que le loyer moyen a bondi de près de 50 % depuis le début de la pénurie, passant de 761 $ en 2018 à 1 119 $ en 2024.

La situation est d’autant plus dramatique que les locataires n’ont pas d’alternatives au marché privé, en cas de perte de logement. En ne représentant que 11 % du parc locatif québécois, il n’y a pas assez de logements sociaux pour répondre à l’ensemble des besoins. De fait, la précarité locative se répand. Pour beaucoup, cela signifie choisir entre payer le loyer ou se nourrir. Pour d’autres, c’est l’angoisse d’une éviction, ou encore vivre dans un logement ne correspondant pas à ses besoins, nuisant à sa santé, sa sécurité ou celle de ses enfants. Pour les plus précaires, c’est carrément la rue qui les menace.

La littérature scientifique a largement documenté l’incidence du mal-logement sur la pauvreté, les problèmes de santé physique ou mentale et le développement des enfants. L’État doit alors compenser avec des dépenses accrues : en services sociaux et de santé  ; en aides très onéreuses au logement temporaire, qui vont surtout dans les poches du privé  ; et en solutions d’urgence pour les personnes en situation d’itinérance.

Rêver d’un autre modèle est-il possible  ?

Et si l’on changeait de perspective  ? Plutôt que de nous pousser vers l’endettement et l’individualisme, pourquoi ne pas promouvoir un modèle où chacun·e puisse vivre dignement, sans être à la merci des fluctuations du marché  ? Si être locataire, en particulier en logement social, était un choix à revendiquer avec fierté  ?

Le logement est un droit, non un luxe, un privilège ou une occasion de profit. Or, il s’avère que le logement social est le meilleur moyen de mettre en œuvre ce droit.

Le logement social : un mal nécessaire ou une solution durable  ?

Délabrement, ghettos urbains, assistanat, misère, insécurité : le logement social souffre de nombreux préjugés. Pourtant, il ne s’agit pas d’une solution transitoire, de dernier recours ou d’un « privilège » offert à quelques-un·es, mais bien d’une alternative viable, durable, solidaire et équitable à un marché privé qui ne cesse de fragiliser les locataires, les communautés et la société dans son ensemble. En ce sens, il constitue une réponse incontournable à la crise du logement.

Le rôle du logement social va donc bien au-delà de la simple offre de logements abordables. Il permet de freiner la spéculation immobilière, de stabiliser les loyers et d’offrir une sécurité d’occupation aux locataires. Logements publics, coopératives et OSBL d’habitation : ses différentes formes permettent de répondre à une diversité de besoins. Chaque dollar investi dans ce secteur se traduit par des économies en santé publique, en services sociaux et en prévention de l’itinérance. Le logement social doit donc être vu comme un investissement, non comme une dépense.

Doubler la mise : un choix politique inéluctable

Face à la crise, les gouvernements cherchent de faux coupables, tels que l’immigration, et proposent de fausses bonnes solutions. Ces stratégies détournent l’attention des véritables responsables : des politiques néolibérales favorisant le marché privé au détriment des locataires. C’est donc sans surprise s’il est boudé par les gouvernements, malgré les avantages documentés du logement social. Face à la crise du logement qui ne cesse de prendre de l’ampleur, il est temps que les gouvernements revoient leurs positions.

Afin de répondre aux besoins les plus criants, il faudrait que la part du logement social double d’ici les 15 prochaines années au sein du parc locatif, jusqu’à atteindre au moins 20 %. Si l’objectif parait ambitieux, il est réaliste. Pour ce faire, les gouvernements doivent cesser de favoriser la financiarisation du logement au détriment du droit au logement.

Les droits sociaux sont non négociables. Il revient aux gouvernements de mobiliser les ressources nécessaires pour les assurer pour toutes et tous. Les politiques publiques qui creusent les écarts économiques et sociaux en privilégiant les entreprises et les plus riches doivent cesser. Les inégalités ne se résorbent pas seules : elles exigent des choix fiscaux à l’avenant qui permettront notamment de financer le logement social. Il est plus que temps de mettre les bouchées doubles et d’investir dans un avenir où le droit au logement pour toutes et tous sera enfin une réalité. 

 

 

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