FAUBOURG MENA’SEN : CHRONIQUE D’UN VOL LÉGAL

Date : 1 juin 2025
| Chroniqueur.es : Sylvain Bérubé
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Parmi les dérives les plus choquantes de notre époque, celle du Faubourg Mena’sen (FM) se démarque par l’audace tranquille avec laquelle des administrateurs ont détourné un bien collectif à leur profit, sous couvert de respectabilité et de procédures légales. Grâce au travail rigoureux de l’historien Pascal Cyr, auteur de l’enquête fouillée (publié sur La Métropole le 8 mai 2025) dont est tiré ce résumé, nous sommes en mesure de mesurer l’ampleur du scandale : un vol en col blanc maquillé en planification administrative.

Le Faubourg Mena’sen, aussi appelé Cité des Retraités de l’Estrie, fut pendant plus de quatre décennies un modèle d’économie sociale, offrant à Sherbrooke des logements abordables à des personnes âgées à faibles revenus. Ce succès fut rendu possible grâce au soutien important de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), qui a garanti le financement initial, subventionné les taux d’intérêt et soutenu les loyers de plusieurs locataires. En 2015, le FM n’avait plus aucune dette et possédait un actif immobilier substantiel.

Mais entre 2020 et 2022, cinq administrateurs bénévoles, aidés de divers professionnels, ont orchestré une vente rapide et discrète de l’ensemble du parc immobilier à deux promoteurs immobiliers. Le tout, pour un montant inférieur à la juste valeur marchande. Les administrateurs se sont ensuite partagé le produit de la vente – près de 20 millions de dollars – comme s’il s’agissait de leur propriété privée. Pourtant, une clause de dévolution inscrite dans les statuts de l’organisme stipulait clairement que ses actifs devaient revenir à un autre OSBL advenant sa dissolution.

Pire encore, le secrétaire de l’organisme, Me Serge Dubois, avocat de profession, a obtenu en mars 2022 des lettres patentes supplémentaires du Registraire des entreprises du Québec (REQ) afin d’abroger cette clause et de changer le nom de l’organisation. En avril, la dissolution fut complétée après une publication discrète dans un journal montréalais, loin du lieu où se trouvait réellement le FM. Une manœuvre juridicoadministrative douteuse, qui s’apparente à un véritable tour de passepasse.

Heureusement, la Cour supérieure a annulé la dissolution en décembre 2024. Le jugement du juge Martin F. Sheehan pointe du doigt les multiples manquements aux obligations fiduciaires et éthiques des administrateurs. Toutefois, l’affaire est désormais devant la Cour d’appel.

Face à l’inaction du gouvernement québécois et de la SCHL, le comité citoyen Sauvons Mena’sen a entrepris une bataille judiciaire courageuse. Deux recours sont en cours : une action collective au nom des locataires et une action dérivée visant à faire annuler la vente, les lettres patentes supplémentaires et la dissolution.

Le scandale du FM ne concerne pas uniquement ses 250 locataires actuels ou ses milliers d’anciens résidents. Il interpelle l’ensemble des 50 000 OSBL du Québec, toutes vulnérables à des dérives similaires. Il met aussi en lumière l’inaction préoccupante du gouvernement, du REQ, de la SCHL, et du Barreau du Québec, incapables de prévenir ou de corriger rapidement cette opération frauduleuse maquillée en restructuration. Il appelle une réforme urgente du cadre législatif, une vigilance accrue des autorités, et surtout, un engagement fort de la société civile à défendre les biens collectifs contre les prédateurs en cravate.

Ce scandale n’est pas seulement un échec judiciaire : c’est un naufrage moral et politique. 

 

 

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