Alors que l’Aide Médicale à Mourir (AMM) gagne en reconnaissance sociale, l’enjeu de santé mentale – tant pour les personnes qui en font la demande que pour leurs proches – demeure largement inexploré. Une pièce de théâtre et des recherches récentes permettent d’ouvrir ce débat délicat.
Dignité et santé mentale
Au Québec, l’AMM est accessible à toute personne majeure, apte, assurée, et souffrant d’une maladie grave et incurable qui entraine des souffrances intolérables. Mais une maladie mentale, lorsqu’elle est la seule condition médicale, ne permet pas encore d’y accéder. Le débat demeure sensible, et la loi fédérale, qui devait permettre cette extension dès mars 2024, a été repoussée à 2027.
Entre les balises juridiques et les réalités humaines, un espace émotif se creuse. Dans cet interstice, la santé mentale joue un rôle central, souvent invisible, rarement abordé. Car si l’AMM soulage la souffrance physique, qu’en est-il de la souffrance psychique ? Et surtout, qu’en est-il de celle des proches ?
Une étude québécoise datant de 2021 indique que les proches vivant l’AMM d’un être cher peuvent ressentir anxiété, culpabilité, colère et solitude, autant avant qu’après le décès. Le deuil est souvent qualifié de « modifié », parfois « traumatique ». Pour plusieurs, le choc de la rapidité du processus (8 à 12 minutes) laisse un vide difficile à nommer. Sans ressources psychologiques clairement identifiées, les proches se retrouvent dans ce qu’on peut qualifier d’angle mort de la loi.
Flanelle : le théâtre pour sonder la douleur invisible
C’est dans ce contexte que l’autrice Marie-Pier Audet propose Flanelle, une mise en lecture poignante, inspirée du décès de son père, survenu le 1er septembre 2020 dans le cadre d’une demande d’AMM. Présentée au Pavillon des arts de Coaticook, la pièce explore les 36 dernières heures de vie d’un homme atteint d’un cancer métastasé.
« Les gens ne veulent pas mourir, ils veulent mettre fin à leur souffrance », insiste Marie-Pier. Une phrase simple, mais qui résume l’angle de sa pièce : comprendre la mort choisie comme une réponse à la douleur, et non comme une fuite. Son père, dit-elle, avait « très peur de la mort » mais ne voulait pas « perdre sa lucidité, être gavé ou ne plus reconnaitre sa fille. »
Dans Flanelle, les réactions brutes des enfants adultes s’entrelacent : la rationalisation, l’humour comme ultime protection, les blessures non guéries, l’angoisse de l’après. « J’ai beaucoup ressenti de colère », raconte Marie-Pier, enfant unique, « …colère de devoir m’occuper de mon père qui ne s’était pas occupé de moi… Mon deuil, je ne l’ai pas encore fait. »
Dans la pièce, une comédie sombre qui oscille entre légèreté complice et gravité croissante, les mots engourdissement et soin atténuent le choc frontal de la mort. Jean-Marc, le père, souligne une nuance fondamentale :
« Je veux juste mourir en paix, mon gars. Pas souffrir. C’est pas être lâche, de vouloir mourir en paix. C’est pas fuir. »
Les proches, ces oubliés du protocole
Malgré l’humanité du soin, la pièce soulève une faille dans le dispositif : l’absence d’accompagnement psychologique structuré pour les proches. « Il y a juste un vide juridique. On n’est pas outillés. », déplore Marie-Pier. Et d’ajouter : « Le soin est très doux physiquement, mais hyper violent émotionnellement à cause de la vitesse. »
Ce manque révèle que le système de santé peine encore à répondre à la complexité émotionnelle de ces situations. Les enjeux de santé mentale sont exacerbés par l’impréparation des proches, les conflits familiaux préexistants et le traumatisme existentiel d’une mort choisie.
Marie-Pier en témoigne aussi à travers sa démarche artistique : « Ces zones où il y a de la santé mentale, des défis, elles sont partout : dans l’amour qu’on n’a pas reçu, dans la colère qu’on n’a pas digérée, dans le deuil qu’on n’a pas su nommer. »
Le titre de l’article oppose la flanelle, douce, chaleureuse au bambou, solide en apparence mais creux à l’intérieur. L’AMM, telle que vécue par les personnes qui restent, balance entre ces deux symboles évoqués dans la pièce. Faire face à cette réalité sociale nécessite de regarder au-delà du protocole médical, afin d’intégrer pleinement l’impact psychique, la santé mentale des vivants, et pas seulement la dignité des mourants.