Il était une fois une « foule très hostile »

Date : 17 octobre 2012
| Chroniqueur.es : Geneviève Bruneau
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Selon un communiqué diffusé samedi, 19 mai, par le Service de police de Sherbrooke, les policiers ont été victimes d’une « foule très hostile » lors de la manifestation de soir qui se déroulait la veille. Le corps policier, qui a arboré fièrement son armure de « contrôle des foules » afin de « maintenir l’ordre et la paix sociale » [sic], soutient qu’il a dû utiliser des grenades fumigènes et assourdissantes. Il souligne même qu’un agent a été agressé par un manifestant armé et que, parmi les 300 personnes présentes, plusieurs portaient des masques à gaz.

En ces jours sombres pour la démocratie et la liberté de parole, je prends le risque de contester la version policière des évènements. Le communiqué de presse signé par René Dubreuil, relationniste du SPS, est truffé d’omissions et d’artifices. Afin de rétablir les faits, voici l’histoire de ma participation à cette « foule très hostile ».

Confettis, masques et forêt : un cocktail explosif

Ce soir-là, je voulais rester chez moi et ne pas aller manifester. J’étais rongée par la violence symbolique et répressive que ce gouvernement m’infligeait par cette loi et cet acharnement autocratique. Mais un ami m’a appelée et m’a dit que la police menaçait d’utiliser des gaz pour disperser la foule et qu’un manifestant avait été arrêté. J’ai accouru pour rejoindre mes consoeurs et confrères, la peur au ventre. Sur place, j’apprends que le jeune homme arrêté avait lancé des confettis à un policier et qu’il était accusé de voie de fait et d’agression armée sur un agent de la paix. Mes ami-e-s confirment que l’agent visé par les effusions festives du manifestant a réagi démesurément, voire avec orgueil. Dans le communiqué du SPS, on apprend que l’agent en question aurait été blessé par un engin pyrotechnique. Avait-on affaire à des confettis explosifs ?

Quand j’ai rejoint la foule, elle se trouvait au coin de la rue Denault et du pont Jacques-Cartier. J’ai été rassurée de voir mes camarades souriants (j’ai vu leurs sourires à travers leurs masques à gaz évidemment), confiants et plus que jamais déterminés à dénoncer cette loi matraque en défiant la peur. La foule scandait « manif illégale contre la loi spéciale ! ». La manifestation avait été déclarée illégale lorsqu’elle avait fait un arrêt au poste de police en solidarité avec l’accusé aux confettis.

Nous avons alors décidé d’emprunter la piste cyclable menant au parc Jacques-Cartier afin de nous rendre de l’autre côté de la rivière Magog et du lac des Nations. Nous avions pour objectif d’aller aux bureaux de Radio-Canada sur la rue King Ouest. Après une tranquille marche dans la forêt et dans le parc, nous sommes aboutis à l’intersection Jacques-Cartier/King. L’antiémeute s’est alors déployé devant nous et a chargé la foule au pas de course sans avertissement. Une première bombe assourdissante a éclaté au-dessus de nos têtes.

Matraques, bombes et arrestations : un cocktail répressif

Nous avons réussi à nous regrouper et à poursuivre notre chemin. L’antiémeute n’entendait pas nous laisser faire et pressait le pas derrière nous, suivis par deux autobus vides de la STS (sorte de paniers à salade format géant pour arrestations massives). Nous nous sommes arrêtés devant le restaurant Caffucino, en scandant « On reste, on reste, on reste pacifiques ». La ligne d’antiémeutes gardait une distance d’environ trois mètres entre elle et nous. La tension était palpable, mais plusieurs personnes curieuses s’amassaient sur terrasses et trottoirs pour observer la scène. L’ambiance festive et la musique populaire que crachait le système de son du Caffucino créaient un étrange contraste avec l’ambiance trouble qui régnait dans la rue. La présence de témoins nous rassurait : nous n’étions plus seuls à assister à cet étrange manège policier qui se déployait devant une foule indignée, mais pacifique qui refusait de courber l’échine.

Après un face à face d’environ dix minutes entre l’antiémeute et les manifestant-e-s qui étaient en position à genoux puis assise, les policiers ont lancé des bombes assourdissantes et des fumigènes sur la foule « très hostile » après quoi ils ont chargé en frappant à grands coups de boucliers et de matraques. Nous persistions à crier « On reste, on reste, on reste pacifiques » en même temps que nous tentions de résister aux coups. Une de mes collègues de classe est sortie de la foule en pleurant et en panique, après s’être fait matraquer. Des manifestants renvoyaient les projectiles « pyrotechniques » de la police vers leurs propriétaires, éloignant ainsi la fumée de nos yeux et de nos poumons.

Nous avons poursuivi notre marche sur King Ouest jusqu’à Radio-Canada et nous nous sommes dispersés un peu plus loin. J’ai déambulé tranquillement pour rentrer chez moi. Arrivée à la maison, j’ai réalisé que j’avais été chanceuse de m’y rendre, puisqu’on signalait une quinzaine d’arrestations pour attroupement illégal ayant eu lieu après la dispersion. Accusations qui, je le souligne, sont criminelles.

La fin des histoires

Est-ce que manifester pacifiquement est devenu criminel à Sherbrooke ? Est-ce que les sherbrookois-e-s qui prennent la rue sont des gens hostiles et dangereux qui ne méritent rien de moins que la matraque ? Réclamons que cessent la brutalité policière et les abus de langage. Réclamons que le SPS rétablisse les faits et arrête de nous raconter des histoires pour convaincre de la nécessité de ses interventions.

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