Je me souviens

Date : 16 septembre 2015
| Chroniqueur.es : Jean-Benoît Baron
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La réputation du réalisateur Bernard Émond n’est plus à faire. L’homme qui est derrière la trilogie théologale (La Neuvaine, Contre toute espérance, La Donation) et Tout ce que tu possèdes, nous revient ici en force avec Le journal d’un vieil homme. Émond, ce passionné de littérature, écrit et réalise cette fois-ci une adaptation d’une nouvelle d’Anton Tchekhov, Une histoire banale.

Un médecin vieillissant, du nom de Nicolas, apprend qu’il lui reste peu de temps à vivre. Il décide de garder le secret, en ne dévoilant rien à sa femme qu’il n’aime plus, ni à sa fille adolescente, pour qui il ne semble être qu’un étranger. Ce n’est qu’en compagnie de sa fille adoptive, Katia, dont il a autrefois profondément aimé la défunte mère, qu’il semble trouver un peu de réconfort. Cette dernière, qui s’accuse d’avoir raté sa carrière de comédienne, cherche des réponses à son mal de vivre de la part de Nicolas, ayant lui-même épuisé ses dernières réserves d’optimisme.

La direction photo, menée de main de maître ici par Jean-Pierre St-Louis, nous fait voyager entre l’Europe et le Québec, entre la ville et la campagne, entre le passé et le présent. Émond semble éprouver un amour profond pour nos paysages québécois et Le journal d’un vieil homme n’y échappe pas. La fragilité humaine et la perte sont des thèmes omniprésents de sa filmographie et sont dans ce dernier film, plus présents que jamais. Le réalisateur, qu’on connaît pour son amour de la culture, se permet de critiquer notre télévision abrutissante, notre théâtre de vedettariat et notre musique, que le personnage de Nicolas qualifie de robotique. Il se permet même d’écorcher au passage Céline Dion, le Cirque du Soleil et Youppi la mascotte des Expos Canadiens de Montréal. Le réalisateur, tout comme le personnage de Nicolas, s’inquiète de la disparition de la grande culture au profit de la banalité et du divertissement. Il remet aussi en question les conséquences de l’abandon des religions, qui fait de nous des êtres en perte de sens et de repères, comme le personnage de Katia, qui cherche désespérément un sens à sa vie.

Le vieil homme, formidablement interprété par Paul Savoie, avec justesse, sagesse, fragilité et sensibilité rend le personnage attachant. Sa femme, Barbara, campée ici par Marie-Thérèse Fortin, qu’on aurait aimé voir davantage à l’écran, rend bien ce personnage anti-charismatique. L’écart d’âge entre les deux personnages renforce les différences qui les séparent. Que dire du personnage de Katia, extraordinairement exécuté par Marie-Ève Pelletier, trop peu connue du grand public. À la fois déchirante de vérité et tragique, elle réconforte par sa présence à l’écran. Patrick Drolet, acteur fétiche dans la filmographie d’Émond, vient ajouter une touche de cynisme au récit, par ses courtes apparitions dans son rôle de Michel. Il faut aussi remarquer le travail efficace de Daniel Parent, qui joue un jeune Nicolas, dans les nombreux retours en arrière que nous offre le film. N’oublions pas la jeune Ariane Legault, dans le rôle d’Anne, la fille de Nicolas et de Barbara, qu’on aimerait prendre dans nos bras et aider, comme dans cette formidable scène de paix (la seule d’ailleurs), où le trio se retrouve dans une salle de bain aux vapeurs d’eau chaude, alors que l’adolescente est en pleine crise d’asthme.

Les histoires de Bernard Émond sont souvent déconstruites, comme c’est le cas dans ce film où le passé et le présent s’entrechoquent. Le film s’ouvre avec le personnage de Nicolas, en train d’écrire le fameux journal et cette voix hors-champ, omniprésente, peut-être trop par moment, nous suivra jusqu’à l’arrivée du générique. Les scènes du passé, toutes efficaces, viennent alimenter le récit du présent et le compléter peu à peu, tel un casse-tête, jusqu’à cette scène finale, quelque peu abrupte mais déchirante, entre Nicolas et sa fille adoptive.

Le journal d’un vieil homme est un film intelligent qui nous rappelle la vie qui passe et qui change à laquelle chacun sera confronté au cours de son existence.

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