Jeff Bezos et Elon Musk sont-ils utiles?

Date : 27 février 2018
| Chroniqueur.es : William Champigny-Fortier
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L’idée qu’une plus juste répartition des richesses serait souhaitable est généralement acceptée comme étant tout à fait légitime dans les débats contemporains. Pour faire un portrait rapide, la gauche voudrait une répartition plus égalitaire alors que la droite, sous prétexte de «réalisme» et de «pragmatisme», refuse cette idée. Toutefois, une idée plus controversée dans une société ultra capitaliste où le matraquage idéologique se fait au quotidien à coup de milliards de dollars consiste à remettre en question le fait même qu’il soit légitime de ponctionner une fortune sur le travail des autres. C’est précisément cette remise en question qui sera étalée ici.

La première prémisse de ceux et celles qui défendent la captation sans limites du travail des autres est généralement que si cet argent s’est «gagné» légalement, il est légitime. Mais ces lois, d’où viennent-elles au juste? De parlements où l’influence de l’argent est manifeste, ne serait-ce que parce que les gens qui y siègent à des postes importants jouissent fort souvent du privilège d’être millionnaires ou milliardaires. Mettre en perspective l’idéal d’une accumulation légale et la provenance de ces mêmes lois permet de rappeler un fait important, à savoir que ces lois ne tombent pas du ciel. Elles sont écrites par des femmes et des hommes qui ne vivent pas en dehors de la réalité sociale, mais qui, au contraire, ont des intérêts particuliers et collectifs qui diffèrent d’autres intérêts, ceux des travailleurs et des travailleuses par exemple.

L’autre prémisse de ceux et celles qui défendent une sorte de droit de «gagner» un milliard de dollars est que ces individus sont d’une utilité incroyable et par conséquent, le mérite leur accorderait un tel droit. Si l’on met de côté le fait que cette prémisse est pétrie de mépris de classe, il est tout de même possible de pointer quelques problèmes avec cette idée. En effet, le niveau actuel des inégalités signifierait qu’un Jeff Bezos ou qu’un Elon Musk sont plus utiles que ne le sont des milliards d’individus (ce dont je doute fortement). Cette thèse devrait aussi nous amener à conclure que la bourgeoisie d’aujourd’hui est plus utile que la bourgeoisie des autres siècles considérant la progression des écarts de richesse (alors qu’elle est en réalité plus parasitaire que jamais).

Rejetant ces deux prémisses, j’aimerais proposer une idée allant dans un tout autre sens: le fait de permettre à un nombre extrêmement restreint d’individus de monopoliser une quantité faramineuse de richesse est nocif pour la démocratie. D’une part, l’écart gigantesque entre les richesses produit des situations comme le fait qu’un individu puisse, par la simple menace de quitter le pays ou de délocaliser sa production, détourner un débat public sur ce qu’il serait possible de faire avec telle ou telle richesse. On imagine mal les travailleurs et les travailleuses faire la même menace enfantine et pourtant, l’utilité de ces personnes est incontestablement plus grande. D’autre part, une telle concentration de la richesse crée en quelque sorte deux mondes. Le décalage entre ces deux réalités est une source de conflits et d’affrontements, un conflit de classe. Ce conflit, parfois latent, parfois manifeste peut prendre différentes formes. Quand c’est par le haut qu’il se mène, c’est le règne de l’austérité, de la matraque, de l’impérialisme, du colonialisme et de la destruction de l’environnement.

Que faire? Je me permets en conclusion de soumettre deux idées sur lesquelles je crois qu’il est bon de méditer. Tout d’abord, pourquoi ne pas instaurer un salaire maximum qui limiterait les inégalités? Celui-ci pourrait exister sous forme d’un ratio maximal d’inégalités entre ce qu’empochent les grands dirigeants de l’entreprise et le salaire le plus bas. Sinon, pourquoi ne pas tout simplement tenter de produire la valeur économique de manière à ne presque pas avoir à la répartir ensuite? L’autogestion permettrait d’éliminer ce problème de parasitage économique. Après tout, tant qu’il faudra aller chercher l’argent dans les poches d’une classe bien installée, ceux et celles qui possèdent le magot auront le gros bout du bâton et pourront toujours faire des menaces si jamais le reste de la société n’est pas aux petits soins pour leurs besoins démesurés et asociaux.

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