La diversité des tactiques: la lutte de l’incohérence

Date : 26 avril 2016
| Chroniqueur.es : Vincent Beaulieu
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Pour ceuses qui ont déjà pris part à une action militante (quelle qu’elle soit), il est possible que vous ayez été confronté au «respect de la diversité des tactiques». Si ce n’est pas le cas (vous devriez prendre une pause de lecture et aller participer à une action militante dès maintenant), voici la définition que j’ai acquise par ma courte expérience: c’est l’idée selon laquelle il existe plusieurs moyens d’obtenir des gains sociaux et qu’on ne devrait pas imposer un moyen alors qu’on ne peut pas prouver avec certitude qu’il est «meilleur» qu’un autre. Donc, selon cette théorie, si une action est faite dans un but ultime qui est le même que le nôtre, on ne doit pas la condamner même si elle ne correspond pas à notre vision d’une «bonne» action. Dans le cas d’une manifestation (exemple que je trouve fort utile pour expliquer le concept), si les personnes qui ont organisé l’évènement ne veulent pas donner d’itinéraire, elles doivent respecter le désir de certaines autres personnes qui souhaitent donner le trajet emprunté. Toujours dans le cadre d’une manifestation, si des personnes souhaitent exprimer leur mécontentement et leur refus de certaines politiques publiques par l’action directe (genre briser la vitrine du siège social de Bombardier ou mettre le feu au bureau du ministre Barrette etc.), le service d’ordre de la manifestation CSN (c’est un exemple comme un autre; les gros syndicats ne détiennent pas le monopole sur l’utilisation d’une police citoyenne bénévole : les «paciflics») ne devrait pas intervenir et devrait même leur permettre de se dissimuler plus facilement dans la foule une fois l’action directe accomplie. Ainsi, le respect de la diversité des tactiques soutient que chacun y trouve son compte dans le respect de l’autre et que la diversité permet une pluralité d’évènements qui forment la force du nombre (dans la joie, le bonheur et surtout; le respect).

Si ce que je viens de dire vous parait logique et cohérent; vous faite preuve d’une grande naïveté (ou bien vous lisez l’article en diagonale). Croire qu’une pétition va changer quelque chose (si c’est votre cas, sachez que je ne ferai plus d’allusion à vos liste de noms et d’adresses, qui contiennent toujours les mêmes noms et adresses, qui sont envoyées périodiquement aux mêmes personnes demandant sensiblement la même chose; vous pouvez donc poursuivre votre lecture en toute sécurité) est moins naïf que de croire au respect de la diversité des tactiques. Reprenons notre exemple de manifestation: en quoi est-ce que la tactique de ne pas donner le trajet peut être compatible avec celle de le donner? J’en entends me dire qu’il peut y avoir deux manifestations en parallèle? Excellente idée, comme ça ceux et celles qui veulent désobéir aux règles se retrouvent ensemble de leur côté, ce qui facilite et simplifie leur arrestation, sans compter que la manifestation qui donne son trajet se dissocie de celle qui le garde pour elle, ce qui n’est pas un acte de solidarité et n’est donc pas très respectueux. Ensuite, en quoi la tactique d’avoir un service de sécurité pour une manif qui respecte toutes les règles est respectée par un contingent d’action directe? Certes, la pluralité des tactiques qui cohabitent est un fait qui se constate dans l’action (c’est une réalité que l’on peut observer empiriquement), mais dire que les différents types d’actions qui se contredisent peuvent se respecter entre elles relève d’un grand manque de cohérence conceptuelle.

Avant d’aller plus loin, je vais tenter de ne pas mettre de l’avant un dogmatisme qui ne soit pas appuyé par des définitions claires en parlant du «respect». Il s’agit d’un concept qui ne peut pas être garroché à droite et à gauche (comme ça se fait dans toute bonne discussion sur l’appropriation culturelle) sans poser clairement ses conditions de réalisation. Pour respecter une loi, on se doit de ne pas enfreindre les conditions explicitées dans son texte. Il s’agit là de conditions claires et objectives (cette clarté varie, bien entendu, selon le texte de loi et l’interprétation qui en est faite). Or, les lois sont bien souvent l’objet de la contestation militante, sans compter qu’elles ne régissent qu’une très petite portion des interactions humaines dans une société, ce qui fait en sorte que la définition du «respect» qui leur est associée ne peu pas être simplement transposée aux normes et conventions sociales sous-entendues et non-écrites. Par exemple : le respect factuel (c’est-à-dire qui n’est pas régi par un texte de loi) des sentiments d’autrui ne peut être évalué que par la personne que l’on souhaite respecter. D’autre part, on peut juger irrespectueux un geste posé envers autrui, sans que cette «victime» ne perçoive (ou ne ressente) un manque de respect. Ainsi, en dehors du contexte juridique le «respect» est une question de perception et de ressenti, ce qui en fait un concept très subjectif. Le seul critère qui semble unanime est que le respect d’autrui doit comprendre le respect de soi-même.

Pour le cas qui nous concerne (la diversité des tactiques), on pourrait résumer les conditions de son respect par : la non-condamnation des autres tactiques. Selon cette définition; les éléments «radicaux» ne devraient pas déplorer les actions de concertation représentatives; et de leur côté les éléments «civilisés» ne devraient pas condamner la «violence». Là est bien où se trouve la contradiction du concept : afin de respecter la tactique d’autrui on doit bien souvent éviter d’utiliser notre propre tactique. Prenons un exemple qui témoigne de mon propre parcours militant; le sommet de l’éducation de 2013. Plusieurs groupes ont décrié l’évènement en fonction de sa nature et à cause de sa forme. D’autres groupes l’ont vu comme une opportunité de discussion avec le gouvernement pour défendre leur position sur les enjeux de l’éducation au Québec. Parmi les premiers groupes, plusieurs ont choisi la voie de l’action directe pour s’opposer à l’existence même d’un tel évènement, alors que d’autres, des seconds groupes, se sont préparés pour participer au sommet. Les deux tactiques que je soulève ici, soit dans un premier temps la «perturbation» (voir l’annulation) de l’évènement et dans un deuxième temps la «participation», visaient le «même» but (je soulève ici un autre aspect de la divergence des tactiques : le fait qu’elles visent effectivement le même but est très discutable). Si l’on participe de bonne foi (je mets de côté la semi-participation qui déplore l’évènement de l’intérieur, car il s’agit à mon avis de la même tactique que l’action directe puisqu’elle s’oppose aussi à l’existence même du sommet), on ne peut logiquement pas respecter la «perturbation» puisque celle-ci s’oppose directement à notre propre tactique. Inversement, si l’on souhaite perturber l’évènement, on ne peut pas respecter la «participation» tout en la rendant caduc; ce serait comme s’opposer à la peine de mort sans condamner les actions du bourreau (ou du personnel administratif qui s’occupe du suivit des dossiers des mises à mort).

On peut donc se questionner à savoir comment il serait possible de concilier des actions qui sont mutuellement nuisibles les unes aux autres, mais la véritable question derrière le «respect de la diversité des tactiques» est bien de savoir à quoi ça sert et pourquoi on en tient compte. Plusieurs réponses bien apprises par cœur telles des répliques de théâtre me viennent en tête : Parce que l’union fait la force; ce qui fait la force de la droite c’est que la gaugauche se divise; il faut faire preuve de respect et d’ouverture envers les personnes qui se battent pour la même cause; on a toutes et tous le même but; un peuple uni jamais ne sera vaincu et tout le tralala. Le fait est que, à travailler si fort pour ne pas froisser personne, à ne pas nuire à la tactique de l’autre (que l’on trouve vraiment inutile soit dit en passant) et à garder tout le monde tellement uni dans le respect respectueux de la respectuosité; il ne reste plus beaucoup de place pour s’exprimer dans la lutte. Parlant de «la lutte», il serait aussi peut-être temps d’admettre qu’elle n’existe pas. Certes, on peut observer la convergence d’une multitude de courants idéologiques qui semblent se diriger dans une direction vaguement commune, mais cette union est temporaire et aléatoire. Chaque fois qu’une organisation a recours à un congrès d’orientation (ou toute autre opération de recherche identitaire) c’est qu’elle ne sait plus pourquoi elle existe. En d’autres mots, l’union a perdu son sens. Plutôt que de s’accrocher au vestige d’un moment glorieux (qui s’entredéchire car la divergences des luttes refait surface), il serait plus cohérent d’accepter de confronter l’allié d’hier, que de se plier systématiquement à l’immobilisme du compromis sans gout (celui qui se fait dans l’unique but de maintenir une union désagréable pour chaque parties). La confrontation et la divergence sont présentes entre chaque individu, nier ce fait revient à nier notre propre individualité. Ceci dit, accepter de rompre les alliances qui ne sont plus cohérentes ne veut pas dire ne plus faire d’alliance. Au contraire, si l’on est conscient qu’une union peut être éphémère, il est plus facile de rejoindre des personnes ou des groupes (avec qui l’on est généralement en confrontation) dans le but de défendre un enjeux précis.

Tout mouvement social passe par un moment où la dissension se pointe le bout du nez et où les grands unificateurs moralisent ceuses qui ne veulent pas mettre leurs principes en bouillie afin de les mélanger à ceux du reste du groupe. Ces prophètes de la «dernière lutte» qui nous dises que l’enjeu est trop important pour se diviser en raison de principes idéologiques, qu’il y a urgence d’éviter le pire et qu’on visera le mieux plus tard. Ces pragmatistes naïfs sont persuadés (à chaque soulèvement populaire) qu’une fois la lutte gagnée le calme permettra de penser la société idéale (mais que là, y faut ce qui faut parce que ça juste pu de bon sens), oubliant que les luttes sont perpétuelles et que les principes idéologique (qui sont à la base de n’importe quel revendication what so ever) sont trop importants pour être mis de côté afin d’unifier (par le respect de la sacrosainte diversité des tactiques) un simple mouvement réactionnaire.

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