L’alimentation vivante (Les bonnes intentions, épisode 3)

Date : 30 mai 2016
| Chroniqueur.es : Evelyne Papillon
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Ça fait longtemps que je mange un peu n’importe comment. Il n’est pas rare que je me fasse un bol de céréales pour dîner. Ce n’est pas celles de ce bon vieux Sam le toucan ni de son acolyte Tony le tigre, mais quand même, les groupes alimentaires n’y sont pas tous. J’essaie de travailler là-dessus. Pourtant, j’aime les fruits et légumes, c’est la préparation que la cuisine demande qui me tente moins.

J’avais super hâte de revoir Martin. Mon intérêt pour lui n’avait pas baissé depuis la dernière fois. Je ne me posais pas 100 000 questions, je trouvais que ça coulait entre nous. Au lieu d’aller au restaurant, on a convenu de se retrouver en tête à tête chez moi. Comme c’est la saison, on a craqué pour du homard. On n’a pas pris les queues emballées, non, non, on a été chercher nos spécimens dans le bassin d’eau. Ni lui ni moi ne sommes experts dans la préparation de ce repas, tout ce que nous savons c’est le délice qui nous attend. Ça donne un tout autre sens à l’expression alimentation vivante. Martin n’a pas l’air bien.

— J’ai l’impression qu’il me regarde avec ses petits yeux piteux.

— Ben voyons donc! Manges-tu de la viande en temps normal?

— Oui, mais je ne la vois pas vivante avant.

— Mais tu sais que quelqu’un quelque part l’a tuée, non?

— Mais ce n’est pas moi qui le fais.

— T’es mignon.

— Ris pas de moi, mais pourrais-tu s’il te plaît t’occuper de les cuire, je pense que je n’y arriverai pas.

— C’correct. T’es un gars sensible, ça me plaît.

— Et toi t’es une guerrière, haha!

— En passant, si t’entends comme crier, c’est juste de l’air qui sort, il ne se plaint pas pour vrai.

— Dégueulasse!

Martin se sauve sur le balcon et renifle mon basilic pour se calmer. Je me suis aménagé un potager urbain depuis peu. Ça devrait me motiver à me faire de bons petits plats frais ça aussi. J’aime faire tremper de la menthe dans mon thé ou la mettre à broyer avec des fruits congelés dans un smoothie pour me rafraîchir. Mais pour l’instant je suis avec Plif et Plouf, mes amis à grandes antennes. Je me demande s’ils captent les ondes radio. Qu’est-ce qu’on fait des élastiques bleus? Je ne veux pas me faire pincer, mais je ne veux pas que mon chaudron sente le caoutchouc brûlé. Je repose Plif et Plouf et j’appelle Martin en renfort.

— S’il-te-plaît, pourrais-tu aller sur Internet et me dire ce que je fais des élastiques?

— C’est moitié-moitié, il y a une ancienne poissonnière qui dit qu’elle n’a jamais enlevé les élastiques. Mais d’autres internautes les enlèvent.

— Et Riz-quart-d’eau, qu’est-ce qu’il fait, lui?

— Il ne les enlève pas dans le petit vidéo où il les fait vapeur.

— Bon, bien, je me ferai pas chier alors.

— Je retourne sur le balcon, ça sent le meurtre ici.

Après s’être ressaisi, Martin a préparé une belle salade. J’ai fait fondre le beurre à l’ail et coupé des quartiers de citrons. On est fins prêts pour se mettre à table. J’ai le ventre qui gargouille. Je suis fière d’avoir osé une nouvelle recette avec de la visite. On dit qu’il ne faut pas faire ça, mais j’aime ne pas suivre les conventions. Martin mange sa salade, boit sa bière et regarde le homard, incertain.

— C’est étrange, mais je suis comme triste pour lui.

— Et ça, est-ce que ça te consolerait?

Je m’assois à califourchon sur lui et l’embrasse comme un petit animal qu’on apprivoise. Je commence par le front, les joues, le cou. Puis je me pose sur sa bouche. Les petits becs se transforment en gros.

— T’arrête pas, je suis un homme si triste, j’ai tant besoin d’être consolé. Je souffre…

— Je pense que je t’ai assez requinqué. On les mange-tu nos homards?

— Ouin, faudrait ben.

Le repas est succulent. Je ne réalise pas tout à fait encore que j’ai embrassé Martin. Ça me semblait pourtant la chose la plus naturelle à faire. Et il ne s’en est pas trop plaint. Je suis désolée de l’avoir un peu traumatisé avec la nourriture. J’espère qu’on se fera d’autres bons soupers ensemble. Il me sort de ma rêverie.

— Dis-moi, est-ce que tu aimes les huîtres?

— Je t’avouerais que je n’ai jamais osé y goûter. La texture me fait peur.

— La guerrière fait moins la fière tout à coup…

— Finis ton homard, toi, sinon t’auras pas de dessert.

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