L’austérité à deux vitesses

Date : 17 octobre 2012
| Chroniqueur.es : Philippe-Antoine Demers
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De plus en plus profondément concomitants, système politique et logique économique sont des termes dont les finalités sont aussi de plus en plus interchangeables. Que ce soit dans le cadre de la politique d’austérité au niveau fédéral ou du populaire argument de la « juste part » si chère aux défenseurs des hausses des droits de scolarité et autres tarifs, l’élaboration de nos politiques publiques sont issue de cette logique comptable qui ne voient dans les programmes sociaux et les services publics que des lignes budgétaires en rouges.

Nos gouvernements feraient ainsi preuve de responsabilité fiscale en nous serrant la ceinture et en sacrifiant de larges parts de notre filet social à l’autel de l’équilibre budgétaire. L’austérité, qui nous touche certes moins que d’autres, n’en demeure pas moins le socle idéologique incontournable des discours politiques canadiens et québécois depuis un bon moment. Mais elle a deux vitesses, cette austérité.

Le gouvernement conservateur, qui n’a plus à avoir honte de lui-même depuis l’obtention de sa majorité parlementaire, coupe pour atteindre le déficit zéro. Ils prétendent que le programme de la Sécurité de la vieillesse doit être modifié (lire diminué) pour pouvoir absorber le départ appréhendé d’une majorité de baby-boomers à la retraite. À cela s’ajoutent des coupures sans précédent dans la fonction publique qu’on aimerait nous faire passer pour une simple réduction de la taille de l’État n’ayant pas de conséquences sur les services aux citoyens. Sans parler des coupures de plus de 10 % du budget de Radio-Canada, de la réduction à la hache dans Parcs Canada qui élimine plusieurs emplois de qualité en régions en plus de faire très mal aux entreprises touristiques régionales et du dédain affichés par le gouvernement Harper pour la vérité et l’information en sabrant sauvagement dans Statistiques Canada, pourtant un leader mondial de l’analyse statistique et une banque de données fondamentales pour les chercheuses en sciences sociales.

Au Québec, c’est évidemment la hausse des frais de scolarité qui fait le plus jaser. Obscurci par un faux débat sur la violence et le recours (légitime) à la désobéissance civile, le débat entourant cette hausse est sans cesse ramené à des lieux communs usés tels que la nécessité d’une indexation trop longtemps retardée et l’impossibilité de maintenir un gel des droits qui n’existe déjà plus (la facture étudiante a augmenté de 30 % depuis 2005). Si ce n’est pas les étudiants qui payent plus, ce sont les contribuables de la classe moyenne qui assumeront la facture, nous dit-on dans un effort de division sociale évident. Toutefois, le principe de la « juste part » qui est à la base du raisonnement budgétaire menant à la hausse fait des petits.

Dans son exercice comptable pour retrouver le sacro-saint équilibre budgétaire, Raymond Bachand estimait que les contribuables québécois allaient devoir fournir 38 % de l’effort économique par une augmentation de la TVQ, une augmentation de la taxe sur l’essence ainsi que par une ponction supplémentaire de 200 $ par personne ayant un revenu annuel supérieur à 14 000 $ pour la taxe santé.

Au moment même où nos gouvernements prêchent la responsabilité fiscale et nous demandent, collectivement de se serrer la ceinture, ceux-ci ferment volontairement les yeux sur des alternatives financières. L’abolition pure et simple de la taxe sur le capital des entreprises en janvier 2011 en est l’illustration. Les libéraux se sont aussi engagés à payer 87 % de la facture prévue de 331 millions de dollars pour prolonger la route 167 qui profitera largement à la géante minière Stornoway pour l’exploitation d’un gisement de diamants dont la valeur brute atteindra plusieurs milliards de dollars. Pas question cependant d’augmenter les redevances sur les ressources naturelles, compétitivité oblige. Pas question non plus de revenir sur les mesures fiscales destinées aux entreprises. Depuis l’arrivée des conservateurs, les impôts aux entreprises sont passés de 22,1 % à 15 % dans le but de stimuler les investissements, de générer de l’activité économique et la création d’emploi et, par le fait même, les revenus d’Ottawa. Or, il n’en est rien puisque depuis la mise en place de ses mesures les revenus tirés de ce secteur sont passés de 40,6 milliards à 29,9 milliards en à peine trois ans. Même à 28,4 %, le taux d’imposition des entreprises au Québec est parmi les plus bas en Amérique du Nord.

La responsabilité fiscale est l’argument massue pour nous convaincre de payer notre « juste part » et d’accepter toutes ces mesures qui nous rapprochent de l’austérité. Il est grand temps de refuser ces acrobaties idéologiques et d’exiger que l’on aille chercher l’argent là où il se trouve en faisant comprendre à nos dirigeants qu’il leur sera de moins en moins facile de venir le chercher impunément dans nos poches.

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