Lever le voile sur Beyrouth

Date : 8 avril 2012
| Chroniqueur.es : Romy Schlegel
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Six mois devant moi. Mettre les voiles pour le Liban et le Moyen-Orient, en solitaire, dans le suffocant mois d’août qui correspond aussi, par un hasard dont je ne sais s’il est heureux ou pas, au contraignant mois du Ramadan. Un périple qui semblait n’enchanter que moi, mes amis et ma famille croyant que je me ferais confisquer aux douanes du pays d’Ali Baba et des baklavas. Avis gouvernementaux, désarrois amicaux et grands titres de journaux ne faisaient qu’augmenter ma détermination à lever le voile sur leurs préjugés… sur mes préjugés?

En voyage, les premières impressions sont rarement les bonnes. On y apprend l’humilité : celle de s’être trompé, celle de recommencer, celle de tout repenser. Il suffit d’un peu de temps, le temps de s’avouer que notre regard cherche ce qui conforte nos stéréotypes les plus inavoués. Mes questions orientaient les réponses, mon œil poursuivait les clichés, et mon appareil-photo cliquait sur le choquant, sur les burqas, sur le mordant. Mais le voyage est éphémère; toujours plus, jamais assez, on en vient à se demander ce que l’on cherche dans ces contrées qui nous semblent si lointaines.

Mon pied-à-terre était à Beyrouth, dans « les Libans », puits d’intérêt sans fond pour la politologue et la médiatrice interculturelle que je suis. C’est un pays si petit qu’il est difficilement imaginable de pouvoir y retrouver autant de frontières, qu’elles soient politiques, sociales, religieuses ou ethniques. Chaque quartier et chaque région est un pays, trop petit pour être divisé et pourtant trop grand pour être avalé; on se retrouve devant un casse-tête de morceaux si différents qu’il semble impossible de pouvoir les assembler. Je croyais aller m’embourber à mon tour dans ce chaos que seul le Liban sait créer, mais j’ai bien vite compris que trop ont essayé et que tous ont échoué. Je ne m’y aventure même pas : l’échec, mon orgueil ne l’accepte pas.

Mais surtout, mon attention a divagué. Une autre réalité est venue me frapper, quelque chose que j’en étais presque venue à oublier : le fait d’être femme m’a rattrapée. Au Québec, ça me semble plutôt simple. Nous sommes filles de nos mères qui se sont libérées, émancipées; les lois sont claires, les mœurs aussi. Là-bas, l’équation aurait été simple si, comme dans les clichés, la femme orientale n’était que bercée par les dictats de ses pères, de ses frères et de son mari. Elle serait alors venue vers moi quand je passais dans son village, elle aurait jalousé ma liberté, admiré ma volubilité, levé le voile sur sa réalité pour ensuite le rabaisser, une fois mes questions posées et mon article publié.

La réalité est si différente qu’il est laborieux de vraiment vous la partager et, surtout, parler d’une seule vérité serait vous mentir… mais qui n’a jamais péché! Je peux vous raconter Beyrouth. Nous sommes sur la Corniche, avenue pédestre au bord de la Méditerranée. L’ensemble de l’échiquier féminin s’y côtoie, de la burqa hostile au hijab subtil, mêlés aux talons trop hauts et aux décolletés sans fond. Certaines en montrent trop, d’autres ne découvrent rien, mais elles sont toutes, sans exception, impeccables, belles, sexy.

Le portrait est parfait et le monde arabe en entier vient l’admirer, prendre des bouffées de liberté sexuée à Beyrouth. On lorgne cette ville, tout comme on contemple ses femmes. Comme le décrivait une auteure libanaise, le raffinement festif mêlé à cette liberté à l’insouciance ravageuse fait en sorte que tout le monde la veut : la ville, et ses femmes. Trop libres, trop intelligentes, trop capricieuses, elles effraient. Personne ne comprend comment elles réussissent à valser entre la mode occidentale et les mœurs locales, entre envies hollywoodiennes et ressources du tiers-monde, entre nuits au club et jours en famille, entre tradition religieuse et modernité nihiliste, entre pute et vierge, entre naïveté et machiavélisme. Elles ont des contraintes doubles, des lois doubles; elles doivent répondre à l’un et à son contraire, et elles le font avec une telle aisance qu’elles ne se rendent plus compte combien leur tâche est complexe.

Je ne sais si je les jalouse, les plaint, les envie, mais je sais qu’être femme au Liban est digne d’un grand rôle dans un film à l’énigme trop complexe pour le spectateur non avisé.

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