La liberté. Rarement un mot aura été autant brandi, revendiqué, célébré. Il guide nos luttes, façonne les démocraties, nourrit nos idéaux. Or, la liberté prend plusieurs formes qu’il faut savoir distinguer.
On peut comprendre la liberté de deux façons. La liberté négative, c’est l’absence d’obstacles : être libre, c’est pouvoir agir sans qu’une autorité ou quelqu’un d’autre ne nous en empêche. La liberté positive, elle, va plus loin : elle suppose que nous ayons réellement les moyens d’exercer nos droits. Autrement dit, il ne suffit pas d’avoir l’autorisation de faire quelque chose : encore faut-il que les conditions soient réunies pour le réaliser.
Ces deux dimensions apparaissent clairement lorsqu’on parle de liberté d’expression. Dans un sens négatif, elle consiste à ne pas être censuré ni réduit au silence. On peut critiquer un gouvernement, publier une opinion ou débattre sans craindre de sanction. C’est précisément ce qui distingue une société démocratique d’un régime autoritaire, où la parole libre est muselée et où la critique entraine la répression.
Mais dans un sens positif, la liberté d’expression exige davantage. Elle suppose que chacun ait réellement la possibilité de s’exprimer : par l’éducation, l’accès à des médias diversifiés ou des espaces où toutes les voix peuvent être entendues. Avoir le droit de parler n’est pas suffisant si, dans les faits, seules quelques voix dominent l’espace public.
Au Québec, cette distinction est bien tangible. Nous jouissons d’une liberté négative enviable : personne ne nous empêche de prendre la parole ni d’écrire. Mais la liberté positive reste fragile. La concentration des médias, l’emprise des géants du numérique et le déclin des salles de nouvelles locales réduisent la diversité réelle des voix. L’empire de Québecor en est un exemple : en contrôlant une large part de l’information, il accorde une place dominante à des points de vue conservateurs, surtout sur les enjeux identitaires et sociaux. La diversité existe toujours, mais le rapport de force est inégal et certaines idées bénéficient d’un portevoix disproportionné.
L’actualité américaine montre à quel point cette distinction est cruciale. Donald Trump invoque sans cesse sa liberté d’expression pour justifier attaques et mensonges. Mais quand un président menace de retirer des licences aux réseaux qui le critiquent et multiplie les poursuites, il n’élargit pas la liberté, il l’étouffe. Que des figures établies comme Jimmy Kimmel et Stephen Colbert soient écartées des ondes illustre à quel point ce climat est inquiétant. Si la satire politique devient désormais risquée, si l’humour doit se taire par peur du pouvoir, c’est toute la démocratie qui se fragilise.
La liberté d’expression n’existe vraiment que lorsqu’elle est partagée. Elle ne se résume pas à l’absence de censure : elle suppose que toutes les voix puissent trouver écho. Cela exige des médias diversifiés, un financement adéquat de l’information indépendante, une éducation aux médias et des espaces de débat accessibles à tous. C’est dans cet esprit que des journaux communautaires comme Entrée Libre sont essentiels. Ils rappellent que la démocratie se construit dans nos quartiers, par la parole citoyenne, et que protéger la liberté d’expression, c’est d’abord donner à la population les moyens d’être entendue.