L’indépendance véritable ne peut faire abstraction de la justice sociale: réplique à Denis Monière

Date : 9 décembre 2017
| Chroniqueur.es : Éric Martin, Nicolas Beaudoin
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Récemment, Denis Monière appelait les militant.e.s d’Option nationale (ON) à rejeter la fusion avec Québec solidaire (QS). Nous pensons au contraire que par fidélité envers l’idéal indépendantiste, il est important et urgent d’unir les deux mouvements politiques. Pour Denis Monière, l’indépendance est une « fin en soi » qui doit être défendue en faisant abstraction de toute autre question. Nous pensons que cette conception de l’indépendance n’est pas en mesure d’offrir une réponse satisfaisante aux problèmes de la crise du travail, des inégalités socio-économiques et de la crise écologique. Ni en mesure d’ailleurs d’assurer la construction d’une véritable égalité de nation à nation avec les autochtones. Une conception aussi désincarnée de l’indépendance n’est pas susceptible de rejoindre non plus les travailleurs et travailleuses précarisé.e.s ou les jeunes préoccupés par la globalisation et l’avenir de la planète, qu’il faudrait mobiliser les premiers. L’indépendance doit ainsi être repensée comme projet de transformation globale sur les plans politique et économique plutôt qu’être vue uniquement comme une rupture constitutionnelle. Cette dernière lecture semble étrangement exister hors du temps au vu des nombreux et importants problèmes auxquels nous faisons face en cette époque.

Réarticuler les questions nationale et sociale

Lorsqu’on parle d’indépendance, il est malheureusement courant d’opposer la conception qui en fait une finalité visant la libération de l’État-nation du Québec à celle qui prioriserait le social et en ferait donc un moyen. En fait, il s’agit d’un faux dilemme : si nous définissons l’indépendance comme la souveraineté du peuple dans toutes ses dimensions, alors les questions nationale et sociale doivent être réarticulées comme les deux faces d’une même pièce.

Il suffit pour s’en convaincre de replacer le projet d’indépendance nationale dans son contexte social d’émergence durant les années 1960. L’indépendance apparaissait alors certes comme une fin, mais elle était inséparable d’une lutte globale pour l’émancipation de la majorité canadienne-française, qui faisait l’expérience quotidienne de sa subordination culturelle, économique et politique.

Aujourd’hui, dans le concret de nos existences, à côté du carcan constitutionnel du fédéralisme canadien qui nie la liberté politique des nations québécoise et autochtones, d’autres pouvoirs pèsent sur nous. Nous parlons ici des forces de la finance mondialisée et des multinationales, qui détruisent le territoire et appauvrissent les travailleurs et travailleuses.

Il faut donc bien sûr viser l’indépendance politique comme une fin nécessaire parce qu’elle nous donne, en droit, un pouvoir plus grand sur nous-mêmes en nous permettant de nous réapproprier la souveraineté. Mais la souveraineté pleine et entière, comprise comme libération, ne saurait se limiter à un changement constitutionnel qui laisserait telles quelles les conditions sociales et économiques qui empêchent le peuple québécois de s’autodéterminer. Inversement, pour mener à bien un véritable projet d’émancipation sociale, nous avons besoin de l’indépendance politique. Sans elle, un projet social le moindrement ambitieux restera en grande partie inapplicable. Nous demeurerons sous l’emprise d’une économie extractiviste pétrolière from coast to coast, nous continuerons d’être des sujets de Sa majesté soumis à des traités négociés sans nous, et l’inique Loi sur les Indiens continuera de prévaloir. Le social sans l’indépendance n’ira pas loin; et l’indépendance sans critique sociale et économique est certes plus intéressante que le fédéralisme canadien, mais elle n’est pas suffisante.

À propos de l’union des indépendantistes

Le modèle du choix rationnel proposé par Denis Monière pour justifier qu’ON et QS continuent d’exister sur des voies parallèles a fait l’objet de plusieurs critiques. Soulignons ici que ce modèle a le défaut d’aborder de manière mécanique la vie politique. Comme si l’action politique se limitait aux élections et que celles-ci se contentaient d’enregistrer les opinions préétablies et prévisibles des électeurs/électrices. Or, avant les années 1960, personne ne songeait à voter pour l’indépendance… C’est le travail militant qui a progressivement rallié à cette cause une masse critique de gens et qui a permis, éventuellement, l’élection du PQ. Pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui? De nombreux mouvements politiques, ces dernières années, ont défié les pronostics et ouvert des brèches qui montrent qu’il est possible de vaincre les forces de l’inertie et de défier les « prédictions », même celles qui se veulent les plus « scientifiques ».

Il est impératif de nous unir afin de construire une force politique capable de rallier non seulement les membres de la majorité historique du Québec ayant connu les luttes référendaires, mais également la jeunesse, les communautés culturelles et les autochtones. Bref, toutes celles et tous ceux avec qui nous pourrions construire une véritable république démocratique, tournée vers la justice et le bien commun. Ceci permettra d’articuler concrètement l’indépendance du Québec à l’ensemble des luttes que mène notre peuple. Inversement, la fougue indépendantiste d’ON pourra nourrir QS afin que nous ne perdions pas de vue la trajectoire historique et les conditions politiques qui rendent nécessaire et incontournable l’indépendance de notre pays.

Nicolas Beaudoin, professeur de philosophie au Cégep de Sherbrooke,
Eric Martin, professeur de philosophie au Cégep Édouard-Montpetit et auteur d’Un pays en commun (Écosociété)

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