Monsieur Couillard, qu’attendez-vous pour réagir?

Date : 10 septembre 2014
| Chroniqueur.es : Étienne Boudou-Laforce
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Monsieur le Premier Ministre,

Le 13 août dernier, les détails de l’Accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne furent dévoilés à l’occasion d’une fuite de la télévision allemande Tagesschau. À cet égard, nous nous serions attendus à ce que votre gouvernement réagisse et interpelle Ottawa quant aux éventuelles conséquences pour le Québec d’un tel traité.

Il advient que le document révélé, s’il n’est pas le texte final, confirme les appréhensions à l’effet que les intérêts du Québec sont mis de côté. Pensons au tort économique sans précédent que subira l’industrie laitière québécoise et à la permission offerte aux multinationales de poursuivre un État en toute impunité.

En effet, en acceptant de doubler le quota de fromages européens admis sans droits tarifaires au bénéfice des exportations de bœuf canadien à destination de l’Europe, on vient attaquer de plein fouet les intérêts du Québec. Vous n’êtes pas sans savoir que le Québec produit 60% des fromages du territoire canadien et que la différence entre les normes canadiennes et européennes viendra pénaliser abusivement les artisans québécois. Ottawa fait ici délibérément le choix de sacrifier le fromage du Québec au profit du bœuf de l’Ouest canadien.

Concernant le chapitre de l’Accord portant sur la protection des investissements, on y poursuit malheureusement l’idéologie émanant du controversé chapitre 11 de l’ALÉNA qui permet aux entreprises d’intenter des poursuites juridiques si les collectivités locales ont une législation non profitable à la poursuite de leurs activités. À titre d’exemple, l’entreprise Lone Pine Ressources poursuit actuellement l’État québécois pour 250 millions de dollars, car Québec a légitimement décidé d’interdire la prospection et l’extraction de gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent.

Plus précisément, c’est le mécanisme de règlement des différends investisseurs-États (ISDS) qui pose problème, soit un tribunal qui »règle» les conflits entre les gouvernements et les entreprises, puisqu’il y a délégation de la justice à des tribunaux arbitraux privés où la transparence et les rapports de forces sont pour le moins douteux -une même personne peut par exemple occuper alternativement le rôle d’arbitre ou d’avocat.

Alors que l’expérience de l’ALÉNA aurait dû servir de mise en garde, voilà qu’on répète la même erreur. Il nous apparaît alors que le geste du gouvernement conservateur est irresponsable, de même que cette décision de déposer un maigre 21 jours ce document d’importance au parlement canadien. Et le comble, sans aucune possibilité d’amendements!

La réalité est accablante: au nom de la libéralisation des marchés, on vient limiter l’innovation et la prospérité de nos petites et moyennes entreprises; de même qu’au nom de la globalisation, il y a négation de la démocratie. Rajoutons qu’au-delà des répercussions économiques négatives sur l’industrie laitière québécoise qu’annoncent le texte de l’Accord, on peut s’inquiéter à juste titre des impacts de la prolongation des brevets des grandes compagnies pharmaceutiques et de l’accès des compagnies étrangères à nos services publics (Hydro-Québec en première ligne).

Le plus choquant demeure que ce partenariat commercial d’envergure ait été élaboré sans que les Québécois n’aient été consultés d’une quelconque façon. Tout s’est négocié dans le plus grand secret. On laisse ainsi l’impression qu’il s’agit d’un débat abstrait et éloigné des préoccupations des gens alors que les conséquences concrètes sont immenses.

Le gouvernement Conservateur a beau répéter qu’il dédommagera tous et chacun d’éventuels effets négatifs, on connaît la chanson, il n’y a pas d’obligation formelle. Et ce n’est pas vrai que toutes les provinces tireront un avantage de cet accord, comme l’a affirmé M. Harper. Très peu en tireront et certainement pas le Québec dans l’état actuel des choses. Ainsi, Monsieur le Premier Ministre, il serait dans l’intérêt général de vos concitoyens de vous positionner rapidement sur l’Accord de libre-échange Canada-UE.

L’auteur est membre de l’exécutif de Génération Nationale

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