Notre nombril comme milieu de vie

Date : 1 mai 2010
| Chroniqueur.es : Francis Poulin
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Tout le mois d’avril je m’extasiais à la seule pensée que le beau temps commencerait à envahir la ville. Fini l’isolement! J’allais enfin découvrir mon quartier qui déambulerait dans les rues où chaque coin rue serait le lieu de rassemblements spontanés. Je m’imaginais découvrir ces êtres poussant en plein cœur de la ville comme autant de pissenlits et moi recueillant leurs cultures, leurs pensées et leurs odeurs telle une abeille butineuse.

Accroché à mes souliers comme un explorateur à sa voile, j’étais plein d’espoir en ce début mai. Je me lançais dans l’air chaud et fut accueillit par un froid solitaire. J’avais oublié que le quartier que j’habite n’a presque pas de trottoirs, aucun commerce de quartier ni service de proximité. Aucune raison donc d’y traîner son petit bout d’humanité. J’allais faire de moi un héros et écrire sur ces voisins qui se terrent «Égoïstes! Individualistes! Nombrilistes!». Je troquerai ma veste d’abeille pour l’habit de frelon et darderai ces casaniers qui habitent mon quartier. «Sortez de vos casernes, miliciens du je-men-foutisme!» aurais-je signé, en vain, s’attaquer à mes voisins serait peine perdue. Ils sont bien trop nombreux!

Il me fallait un seul nombril à viser : le conseil municipal. Je me serais attaqué à Sherbrooke dans sa psychologie : innopole et bipolaire. Avec ses côtes à n’en plus finir; ses plans verts qui n’en finissent plus de verdir, ses spectacles à grands déploiements en plein où vont se noyer les espoirs de nos jeunes.. Et que dire de son slogan Sherbrooke plus que jamais! qui finit souvent par l’exode massive du Sherbrooke plus jamais! De jeux d’esprit en jeux d’esprit j’aurais pu étendre ma langue cynique et dégoulinante sur ces 9500 copies d’arbres morts. «Tout est bien qui paraît bien » dit Pio Baroja et au même titre que la Ville de Sherbrooke, j’aurais pu brouillonner quelques idées sans être capable d’articuler une pensée sur ta vie en ville.

J’ai finalement décidé d’appliquer notre devise nationale. Je me souviens, en mai 2007, des milliers de citoyens et de citoyennes qui prirent au sérieux l’avenir de leur milieu de vie afin de s’opposer au bétonnage de leur quotidien. Je me rappelle même des élus qui firent fleurir un discours hors du consensus (il a fané depuis]. Je m’en souviens, chaque jour où un nouveau règlement de zonage tombe, tel un bâillon au pouvoir citoyen, qui coule la démocratie locale dans le ciment. Je me remémore tout cela et je suis sûr que cette volonté n’est pas morte. Qu’à l’ombre des hôtels, des complexes, des foires, des chantiers de destructions planétaires et autres pelletages du chômage vers l’avant, qu’à l’ombre de tout cela, fleurient des Orfords pleins de souvenances. Chaque fête de quartier; chaque jardin urbain, chaque rassemblement de cyclistes me ramène en mémoire que le nombril donne la vie en autant qu’il soit connecté avec un autre. Que Sherbrooke se nombrilise alors!

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